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La Commission Européenne s'engage pour les travailleurs uberisés

A toutes celles et ceux qui jugent que les conditions salariales proposées par Deliveroo, Uber et compagnie ne méritent pas plus qu’une étoile et un mauvais commentaire, cette chronique vous est dédiée !

Selon les documents que le site Bloomberg a pu consulter, le projet de la Commission européenne publié demain prévoit que les travailleurs des plateformes de livraison et des entreprises de chauffeurs VTC bénéficient d’une « présomption réfragable d’emploi ». Dit plus simplement : on va présumer que ces travailleurs et travailleuses sont salarié•es, tout en laissant aux plateformes la possibilité d’apporter des preuves pour démontrer le contraire. Si ces notions juridiques vous semblent floues, elles le sont beaucoup moins pour les géants du secteur qui voient d’un très mauvais œil cette semi-reconnaissance du droit des livreurs et des chauffeuses à être salarié•es. 

Retour de bâton pour les plateformes

D’autant qu’en Europe le vent tourne et que les plateformes numériques se sont pris plusieurs soufflantes en quelques mois. A Bruxelles, la justice a donné raison à une compagnie de taxis locale et a demandé à Uber de suspendre ses activités à compter du 27 novembre dernier. En Italie, le parquet de Milan a obtenu la semaine passée des sociétés Uber Eat, Just Eat, Deliveroo et Foodinho-Glovo qu’elles fournissent des visites médicales et des formations à la sécurité aux quelques 20 000 livreurs et livreuses qui travaillaient jusqu’alors sans aucune protection.

Alors faut-il craindre une contre-attaque des plateformes, à l’instar de Deliveroo qui vient de laisser 3800 travailleurs et travailleuses sur le carreau en décidant de quitter le marché espagnol il y a tout juste dix jours, un peu plus de trois mois après la promulgation de la « loi Riders » qui rebat les cartes de la livraison à domicile en accordant le statut de salarié•e d’entreprise aux livreurs et livreuses ?

Une course de fond

Interrogé par Julien Lech’Vien, journaliste pour Chut! Magazine, Arthur Hay, ancien coursier chez Deliveroo et Uber Eats et syndicaliste CGT au sein de la coopérative des coursiers de Gironde, rappelle que, même dans le cas où la France suivrait les recommandations européennes, il s’écoulerait plusieurs années avant que les sanctions prises à l’encontre des plateformes soient effectives. Sans compter que les livreurs n’ont pas forcément envie d’être salariés. Pas étonnant quand on lit dans l’article de notre journaliste Amélia Morghadi, à paraître dans le prochain numéro de Chut, que de plus en plus de livreurs à vélo sont des sans-papiers à qui des comptes officiels sont sous-loués.

Point positif du projet de directive : la Commission demande aux applications plus de transparence sur leurs données et leurs algorithmes. Publié il y a un an, le rapport Frouin sur la régulation des plateformes numériques de travail soulignait déjà à quel point la combinaison de l’algorithme et des données était utilisée dans une logique d’optimisation du modèle économique. Pourtant rien n’a changé depuis : chez ces plateformes qui misent tout sur la rapidité, le droit du travail a tendance à patiner ! La directive de la Commission européenne ne sera probablement qu’une victoire d’étape dans une course vers de meilleures conditions de travail qui, elle, est loin d’être gagnée !