Livres et expos | À lire, à découvrir
Comme à chaque numéro, nous vous proposons une sélection de livres et expositions, pour donner à voir et à penser, et laisser place parfois à un peu d’émerveillement.
La dystopie s’implante
Dans une France clivée par une technologie révolutionnaire, deux camps se font face. Ash et Chloé, un couple de scientifiques, ont inventé une puce thérapeutique miraculeuse implantée dans le cerveau de 90 % de la population. Maladies et tristesse éradiquées, flux sociaux optimisés, téléchargement instantané de la connaissance, temps de loisir exponentiel : les bénéfices de cette innovation sont pléthoriques. Mais en Bretagne et dans le sud du pays, des déconnecté·es emmené·es par la chorégraphe Oona s’organisent pour résister à ce qu’iels considèrent comme un outil de contrôle démiurgique de l’État sur les individus et leurs émotions. Un roman prospectiviste qui pioche dans l’actualité technologique pour imaginer les dilemmes de demain.
RÉSISTANCE 2050, Amanda Sthers et Aurélie Jean, éditions de l’Observatoire, avril 2023, 208 pages, 21 euros.(Roman)
Un peu de low tech ?
En une dizaine d’années, la low tech s’est imposée en France, « un pays qui ne sait plus parler de technique », tranchent le designer Quentin Mateus et le chercheur Gauthier Roussilhe. Ce court et passionnant essai retrace la généalogie et les ambiguïtés de cette expression introduite en France autour de 2013 par des ingénieur·es animé·es par les mêmes aspirations sociales et égalitaires que l’on retrouve chez des penseurs technocritiques comme Lewis Mumford ou Murray Bookchin. Face aux crises environnementale, politique et sociale qui se profilent à l’heure de l’Anthropocène, le mouvement low tech questionne les valeurs qui sous-tendent la vision occidentale du progrès.
Perspectives low-tech. Comment faire, vivre et s’organiser autrement ? Quentin Mateus et Gauthier Roussilhe, éditions Divergences, mars 2023, 180 pages , 15 euros. ( Essai )
Cerveau déraciné
Absorbé par les écrans, le cerveau est réduit à « une plaque de gestion de l’information », faisant de l’hu- main « un imbécile bien informé ». Le numérique est-il en train de créer une rupture anthropomorphique ? « Voulons-nous devenir de braves toutous qui bavent devant des no- nos virtuels ? » Le philosophe et chercheur en épistémologie Miguel Benasayag exposait son analyse dans un essai publié en 2016. Opé- rant une transduction via la bande dessinée, Thierry Murat met à jour la pensée originale. Une lecture dont on sort « augmenté·e » : nos neu- rones se sont connectés, on a pris le temps de noter des extraits, inscri- vant ainsi l’aperception dans notre corps… Captivant !
CERVEAUX AUGMENTÉS (HUMANITÉ DIMINUÉE ?), de Miguel Benasayag et Thierry Murat, co-édition La Découverte- Delcourt, mai 2023, 184 pages, 24,95 euros. (Essai graphique)
Un autre numérique
C’est à un exercice de cartographie du numérique que se livre dans cet essai Vincent Courboulay, maître de conférences en informatique et cofondateur de l’Institut du numérique responsable. Champ d’antagonismes dans lequel s’affrontent des acteurs aux visions et inspirations radicalement opposées, la face cachée du monde numérique se dévoile à mesure que la généalogie de ses intrications sociales, politiques et écologiques se précise. Contre le récit dominant, ultralibéral et calqué sur le modèle économique des GAFAM, Vincent Courboulay esquisse, dans la deuxième partie de l’ouvrage, 25 propositions pour re- fonder une société numérique plus durable.
L’ARCHIPEL DES GAFAM, de Vincent Courboulay, éditions Actes Sud, février 2023, 144 pages, 12 euros. (Essai)
Quand le code devient matière
Comment donner corps au code informatique ? Quelle matérialité sied à l’invisible pulsation de flux électroniques et de leurs ramifications digitales ?
C’est le pari relevé par les artistes exposé·es au musée international des Arts modestes (Miam) de Sète.
L’exposition « Fait Machine » rend compte du tournant technologique qui s’est opéré ces vingt dernières années avec l’invention d’outils et de processus de fabrication ouverts au plus grand nombre. Y sont mis en valeur les détournements des procédés et outils numériques pour créer des œuvres variées, combinant impression 3D, céramique ou encore tatouages performés en temps réel. Le regard est aussi porté sur les liens unissant fils tissés, circuits imprimés et cartes perforées.
FAIT MACHINE, Miam, à Sète, jusqu’au 12 novembre 2023.
Mucha, influenceur
Parangon d’élégance, Alphonse Mucha fut l’un des artistes ma- jeurs de l’Art Nouveau. Célèbre pour ses affiches mettant en scène des femmes gracieuses re- haussées de motifs décoratifs, le style Mucha s’est attiré les grâces de Sarah Bernhardt comme des publicitaires du Paris de la Belle Époque.
Né en 1860 dans une province de l’Empire austro-hongrois, Mucha s’est également attelé à dépeindre dans L’Épopée slave, sa vision humaniste et pacifiste de l’histoire du peuple slave. Les technologies de projection et la scénographie du Grand Palais Immersif font honneur au travail du peintre, dont l’influence sur le mouvement hippie, les mangas ou l’art du tatouage est égale- ment retracée dans l’exposition.
ÉTERNEL MUCHA, Grand Palais Immersif, à Paris, jusqu’au 5 novembre 2023.