C’est une première. Le Ministère de l’Education Nationale a conçu une Charte pour l’éducation à la culture et à la citoyenneté numériques. Ce document, fruit de la réflexion du CLEMI (Centre de Liaison de l’Enseignement et des Médias d’Information), de l’ARCOM (Autorité de Régulation de la Communication audiovisuelle et numérique) et de la CNIL (Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés), faisant figure de déclaration des droits du citoyen et de la citoyenne numérique, comporte 14 points clefs visant à faire du numérique un espace d’émancipation et d’inclusion, de droit et de vigilance. Selon Christelle Prince, adjointe au chef du bureau, de l’accompagnement des usages numériques, travaillant à la direction du numérique pour l’éducation (DNE), cette charte à destination de l’ensemble de la communauté éducative, parue en janvier 2023, constitue la base, le repère de toutes les règles à respecter ou des valeurs que nous voulons véhiculer, et sur lesquelles nous voulons porter l’éducation à la citoyenneté et à la culture numérique”. 

La “citoyenneté numérique” est une notion centrale pour Judith Klein, cheffe du bureau de l’égalité et de la lutte contre les discriminations, qui consiste à “former les futurs citoyens et citoyennes à la connaissance et à l’exercice de leurs droits”. La vie en ligne et hors ligne étant indissociables, éduquer à la citoyenneté numérique revient, selon elle, à apprendre à être un ou une bonne citoyenne. Manon Conan, cheffe du département “éducation aux médias” de l’ARCOM, nous précise les thèmes et enjeux que recouvre la citoyenneté numérique qui concernent aussi bien “l’attention portée au respect des droits d’auteur, [que] l’utilisation raisonnée des écrans, la garantie de la liberté d’expression et la délimitation de ses limites, la lutte contre les discriminations, la protection des droits.”. La charte est un condensé des enjeux traversant le domaine de l’éducation à l’heure où le numérique est omniprésent.

“Tout le monde devrait être formé à la citoyenneté numérique, cela va au-delà des enseignants"

Les professeurs rencontrés sur le salon voient d’un œil favorable la création d’une charte couchant par écrit et rassemblant les principes et valeurs à véhiculer et à respecter dans leurs pratiques. Ils et elles sont souvent des référents pour les usages du numérique (ERUN dans le premier degré, RUPN dans le second) qui, en vertu de leurs compétences et appétence pour le numérique, sont chargés d’accompagner les professeurs dans leurs usages du numérique en classe. Selon ces formateurs, la charte mériterait d’être observée, au-delà de la communauté éducative, par la société toute entière. « Le numérique est présent partout autour de nous, et si on n’est pas un minimum sensibilisé à ses avantages mais aussi à ses inconvénients, il y aura des dérives, comme il peut y en avoir partout. Tout le monde devrait être formé à la citoyenneté numérique, cela va au-delà des enseignants », soutient un professeur des écoles, ERUN. 

Si son utilité publique n’est pas remise en question, une enseignante en Sciences Economiques et Sociales (SES) au lycée, et en économie à l’université de Cergy s’interroge sur les modalités de mise en œuvre de la charte et la formation du corps enseignant à cette fin : « Je pense que c’est un outil indispensable, mais il faut aussi avoir le temps de traiter les informations qu’elle contient et savoir comment les intégrer (…) Il faudrait des temps pour en discuter, se concerter, aussi bien entre disciplines qu’au sein des établissements ». 

Christelle Prince fournit un premier élément de réponse aux questionnements soulevés par la mise en application concrète de la charte : “un livret d’explicitation va sortir prochainement, et puis nous allons au fur et à mesure agrémenter cette charte de ressources d’accompagnement et d’appropriation”. Selon elle, ces supports éducatifs ont aussi vocation à rassembler “des outils, des projets, des actions qui sont déjà vivants, existent parfois sur le terrain”. Corroborant ses propos, certains professeurs nous rapportent être attentifs dans leurs pratiques éducatives quotidiennes à certains points de la charte, comme la protection des données personnelles et l’inclusion.  

"Le numérique peut permettre une inclusion de nos élèves en difficulté"

Une enseignante parcourt le salon d’un pas vigoureux. Françoise Boyault Courtois est professeure de technologie et formatrice, spécialisée pour les élèves en difficulté et atteints de troubles spécifiques du langage et des apprentissages (TSLA), à l’Académie d’Orléans-Tours. Son attrait pour les nouvelles technologies lui vient de sa discipline, mais est aussi nourri par sa volonté d’accompagner ses élèves atteints de TSLA. « Le numérique peut permettre une inclusion de nos élèves en difficulté. C’est un outil merveilleux pour des élèves qui ont besoin d’acquérir plus de connaissances ou de se familiariser avec des notions différemment. Il y a plein d’enseignants qui publient des vidéos pour permettre aux élèves de comprendre des notions qu’ils n’ont pas assimilées en classe. Cela peut être fait sous un autre biais », nous explique t-elle. 

Elle n’est pas la seule à envisager le numérique comme vecteur d’inclusion. Un professeur couteau suisse, à la fois coordonnateur ULIS (Unités localisées pour l’inclusion scolaire) et référent numérique du collège Blanche de Castille à la Chapelle-la-Reine, recourt au numérique pour faciliter l’accès de ses élèves en situation de handicap aux différents enseignements, mais aussi pour les intégrer dans des projets de groupe. Il combine sa mission de référent numérique à celle de coordonnateur ULIS : « Cette casquette de référent numérique me permet de plus facilement inclure mes élèves d’ULIS dans des projets d’éducation numérique élaborés avec des collègues. On va par exemple monter un projet de narration ou de webradio avec une classe et j’en profite pour y inclure mes élèves d’ULIS de ce niveau de classe là ». Son collège a bénéficié du Plan Collège Numérique lancé par le Département de Seine-et-Marne, qui lui a permis d’être lourdement équipé en outils numériques (vidéoprojecteurs interactifs, équipement de webradio, de web-TV etc.). Une partie de ce matériel est d’ailleurs destinée aux élèves dys (présentant des TSLA), comme des réglettes scanners leur permettant de numériser les cours.

Des enseignants ont cette grille de lecture inclusive quand ils passent en revue les dernières nouveautés en matière d’innovation éducative exposées au salon. Un professeur de lettres classiques (français et latin) d’un collège des Yvelines (Académie de Versailles), nous fait part d’une de ses trouvailles : « J’ai repéré un écran en trois parties, beaucoup plus grand que ceux qu’on a l’habitude d’avoir. C’est vrai que parfois je suis limité, je dois projeter une seule chose à la fois et pas trop de texte pour que ce soit lisible. Si on avait plusieurs écrans, les élèves plus lents pourraient regarder un écran et ceux qui avancent un autre ».

Le numérique : porte d'entrée vers d'autres matières

En plus d’apporter une aide précieuse aux élèves ayant des besoins spécifiques, le numérique peut constituer une porte d’entrée vers les matières dites « traditionnelles ». 

Accompagné d’une vingtaine d’élèves fébriles, le professeur de lettres classiques marche en direction du stand de l’entreprise Asus, spécialisée dans le matériel informatique. Dans le cadre de leur participation à un projet e-sport, lui et ses élèves ont été invités par la Dane (Délégation Académique au Numérique Éducatif) à tester le matériel e-sport du stand et à rencontrer des professionnels du domaine. Le professeur voit dans cette discipline du jeu vidéo compétitif un moyen de convertir la passion de ses élèves en points d’expérience en français. « En français ce qui m’intéresse c’est la partie médiatique, le fait qu’après l’événement il y ait des articles qui soient écrits sur ce qu’on a vécu, des photos qui sont prises. On a une web radio dans le collège, qui vient au tournoi pour interviewer des gens et faire un petit reportage », nous relate le littéraire, amateur de jeux vidéo. 

Plusieurs enseignants présents au salon ont participé à la création d’un fablab (laboratoire de fabrication) dans leur établissement, un lieu ouvert mettant à disposition du public des machines, outils etc. pour concevoir des objets. Ils et elles relèvent ses effets vertueux, notamment pour raccrocher les élèves ne rentrant pas dans le moule scolaire : “Ça marche super bien, et ça permet aussi d’avoir des élèves un peu satellites, qui peuvent travailler différemment ». 

Non au tout numérique

Malgré l’enthousiasme manifeste des professeurs pour leurs projets e-sport et de fablabs, aucun·e ne tombe dans le solutionnisme technologique en accordant à l’innovation technologique le pouvoir de résoudre tous les problèmes qu’ils et elles rencontrent dans leur métier. Le référent numérique de la Chapelle-la-Reine tempère : « Il faut qu’on garde en tête que le numérique n’est qu’un outil et que ça ne fait pas tout. Il y a plein de pays autour de nous qui se rendent compte que travailler avec de bons vieux livres reste quand même ce qu’il y a de plus efficace. (…) La culture numérique, c’est avoir connaissance de tous les outils numériques qu’on a à disposition, savoir les manipuler, mais aussi prendre conscience de leurs limites et les utiliser à bon escient ». Il fait référence à la Suède, qui après avoir généralisé l’usage des écrans à l’école, au détriment des manuels scolaires depuis quinze ans, a réajusté l’usage des outils numériques suite à la parution d’une étude démontrant que le niveau moyen des élèves suédois aurait chuté en compréhension écrite et en lecture. Pour le référent, le numérique ne doit pas se substituer aux outils physiques, lorsque ceux-ci sont adaptés aux besoins ou au projet. Il nous donne l’exemple du fablab : « L’utilisation d’une bonne vieille scie à main est parfois préférable à celle d’une imprimante 3D. Des gens pourraient juste se contenter d’une utilisation numérique du fablab alors que c’est bien aussi de savoir se servir d’un marteau. Le numérique a ses limites. Il y a des choses qu’il faut savoir faire autrement et c’est justement la combinaison de tous ces outils qui est favorable. ». L’enseignante en technologie promeut elle aussi un usage raisonné et motivé du numérique : « Le numérique peut tout permettre, le meilleur comme le pire. (…) En fait, le numérique peut apporter beaucoup mais il faut faire attention à ce qu’on en fait. ». 

Si les outils numériques peuvent s’avérer être de formidables instruments d’inclusion, encore faut-il que les élèves et enseignant·es soient formés à leur utilisation. Outre le fait que l’équipement numérique soit inégalement réparti dans les établissements scolaires sur le territoire (son attribution dépend des collectivités pour le second degré et des communes pour le premier degré), des inégalités persistent dans l’acquisition des compétences numériques, y compris chez les digital natives. En réponse, la plateforme de certification Pix évalue et accompagne tous les élèves dans le développement de leur compétences numériques pour lutter contre cette « fracture numérique au second degré”.