Retrouvez notre dossier complet sur les défis d’un numérique plus durable dans notre nouveau numéro de Chut ! – L’Odyssée écologique disponible en kiosques ou sur notre boutique en ligne.

Comment identifiez-vous la pollution digitale liée à l’utilisation de nos ordinateurs et smartphones ?

David Rousset. On entend beaucoup parler de pollution du cloud et des data centers. Pour ma part, ce qui m’intéresse, c’est le développement web, ma spécialité étant les web apps que sont les moteurs de recherche, les jeux en ligne ou encore les messageries et réseaux sociaux. Nous avons constaté que 60 % du temps d’un·e utilisateur·trice sur un ordinateur se passe dans un navigateur. Je me suis donc intéressé à leur consommation d’énergie. Pour cela, il existe un outil, le wattmètre, qui permet de mesurer la consommation d’énergie des composants des supports de type tablette, ordinateur et smartphone.

Les données statistiques recueillies nous révèlent que les éléments les plus énergivores sont le processeur, le réseau et un dernier, auquel peut-être on s’attend moins, l’écran. Il faut savoir que la lumière bleue est très consommatrice d’énergie, ainsi que les écrans LCD, à cause du principe de rétroéclairage qui est tout le temps actif. Heureusement, aujourd’hui cette technologie est de plus en plus remplacée dans les appareils haut de gamme par l’écran OLED qui est moins gourmand. L’étude de toutes ces données nous permet de réfléchir ensuite aux actions à mener.

La consommation d’énergie dépend également des activités que l’on réalise. Ainsi, un jeu vidéo va fortement solliciter la carte graphique et le processeur. Alors, pourquoi ne pas influer sur les habitudes des gamers, par exemple en leur suggérant de jouer à des heures creuses ?

Peut-on faire une intelligence artificielle green ?

Edwige Seminara. Oui, il y a plusieurs leviers d’actions que nous pouvons utiliser. Dans un premier temps, il est important de réduire la quantité de données utilisées ainsi que leur stockage, c’est là tout l’enjeu de la pollution numérique de l’IA, l’intelligence artificielle. Typiquement des chercheur·es du Massachusetts Institute of Technology travaillent actuellement à l’entraînement d’algorithmes « LO-shot », nécessitant moins de données pour l’apprentissage. Pour l’instant, les recherches sont encore en cours, mais si elles portent leurs fruits, elles pourraient avoir d’énormes répercussions. Il est également possible d’agir au niveau du stockage des données. Il faut par exemple ne conserver que les données prétraitées, c’est-à-dire corrigées et normalisées. Un peu comme un répertoire de contacts sur un téléphone, on va s’assurer qu’on n’a pas de doublon et que les informations sont valides. En somme, il s’agit de faire du ménage.

Plus concrètement, la source de pollution la plus importante en IA est clairement la phase d’entraînement du modèle. Traiter les données et affiner les performances consomme beaucoup d’énergie. C’est pour cela que les chercheur·es continuent de travailler sur la performance des algorithmes : pour les rendre plus performants à consommation d’énergie égale ou pour obtenir de meilleurs résultats avec moins d’énergie.

La phase de tests est également déterminante. Chaque test effectué consomme une quantité d’énergie qui a son importance. Il faut donc être bien documenté sur ce que l’on fait pour éviter les tests hasardeux et inutiles. En tant que développeur·ses, ce sont des réflexes à avoir.

L’optimisation et la performance sont-elles synonymes de réduction d’empreinte carbone ?

David Rousset. Pas forcément, c’est bien tout le problème. Dans le cas par exemple de la reconnaissance faciale, la recherche de la meilleure expérience utilisateur possible est plus consommatrice en énergie, parce que le processeur est davantage sollicité. Ne faut-il donc pas essayer de trouver le juste équilibre entre l’expérience utilisateur suffisamment satisfaisante et la consommation d’énergie ? L’impact énergétique va forcément guider des choix d’architecture et d’algorithmie, parfois au détriment de l’expérience utilisateur. Dans le domaine des jeux vidéo, on nous parle beaucoup d’images en 4K [vidéo haute définition] ces dernières années. Or, générer une image de ce type demande quatre fois plus de pixels qu’une image full HD, pour une différence visuelle relativement faible. Ne peut-on pas admettre que l’expérience utilisateur est satisfaisante avec une image full HD ? Il va falloir arbitrer dans ce sens et fixer le curseur. À mon sens, ce sont ces questions-là qu’il est désormais essentiel de se poser.

Pensez-vous que nous parviendrons à verdir le numérique ?

Edwige Seminara. Nous le devons ! Les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) commencent à s’engager, certains ont déjà pour objectif ne plus utiliser d’énergie fossile, quand d’autres utilisent des éoliennes pour leur data center. Microsoft a récemment placé un data center sous l’eau, une solution qui permet d’éviter d’utiliser les dispositifs de refroidissement de type climatisation, très coûteux en énergie. En parallèle, nous devons tous et toutes changer nos habitudes, étape par étape. Les neurosciences nous le prouvent, les humains ont une forte résistance au changement. Il faudra donc du temps, de la sensibilisation et de l’éducation.

Mais la planète peut-elle vraiment attendre cette prise de conscience ?

David Rousset. Clairement non, et c’est là que les grands groupes comme Microsoft ont un rôle à jouer. Ils ont une responsabilité forte, ils doivent montrer l’exemple afin de motiver les efforts individuels. En effet, les habitudes sont ancrées et difficiles à faire bouger, il nous a fallu des années par exemple pour apprendre le recyclage correctement. Or, les technologies vont très vite. Les grands groupes ne peuvent donc pas se contenter de petites actions.

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