David Cormand : « La capacité de l’Union Européenne à réguler est notre atout »

Politiser le sujet de l’intelligence artificielle et penser démocratiquement les choix de société qu’elle imprime, c’est l’objectif derrière le « sommet » organisé par David Cormand le 7 février dernier, pour tracer les lignes d’une IA « au service de la planète et de l’humain ». Explications.
La politique trumpiste est-elle l’occasion de sortir de l’illusion de la neutralité du numérique ?
Comme toujours, quand on veut dépolitiser un sujet, c’est en fait la politique qui gagne. Jusqu’ici, ce positionnement a été celui des libéraux : ne pas politiser les usages numériques ; d’ailleurs il faisait ainsi de la politique… Aujourd’hui, le réel nous cogne fort. C’est en effet l’occasion d’assumer que la question du numérique est une question politique.
Au-delà du contexte actuel, il faut politiser l’innovation. C’est pour cela qu’il m’a paru important d’organiser une journée de réflexion, brassant largement le sujet, quand j’ai appris que la France allait accueillir le « sommet mondial » sur l’IA. Il ne faut pas laisser ce domaine enfermé dans des considérations bordées par le techno-mercantilisme. Il faut que nous nous demandions collectivement à quoi servent les intelligences artificielles et comment on les régule. Toutes ces questions ne sont pas posées par le sommet organisé par Emmanuel Macron.
Quelle est la doctrine des Verts au Parlement européen ?
La question qui se pose à nous, Européens, c’est celle du modèle que nous voulons. Face à nous, nous avons les Etats-Unis et la Chine. Il est intéressant de constater que finalement, ces deux pays se rejoignent dans leur doctrine économique : l’hybridation entre l’Etat et les grandes entreprises du numérique.
Il ne s’agit pas d’être compétitif et de déréguler, il s’agit de décliner des infrastructures numériques pour être souverain sur les objets numériques.
La question de la souveraineté, c’est la question politique absolue : comment ne pas céder notre souveraineté à ceux qui se comportent comme des prédateurs ?
Quels sujets ont été abordés au cours de ce sommet de février ?
Nous avons évidemment commencé par parler de notre planète et des questions environnementales, en soulignant l’extractivisme sur lequel repose les activités numériques. Tout le champ lexical du numérique renvoie à un univers en suspension, qui fonctionnerait selon le principe du pur esprit. Or il repose en fait sur des infrastructures matérielles importantes et génératrices d’extractions de ressources naturelles. Nous en avons donc parlé en termes des nouvelles dominations de régions du monde sur d’autres, qui ressemblent beaucoup à celles de l’ancien monde, derrière la vitrine de la modernité et de l’innovation d’un futur propre et lisse. Aujourd’hui, on a à faire à des gens qui font des saluts nazis. Ça a au moins le mérite d’être clair.
Nous avons aussi abordé les conséquences des usages numériques sur la santé mentale. Tout le business modèle de l’attention perturbe notre rapport cognitif au monde, au détriment d’autres activités sociales, d’apprentissage et de sommeil. C’est une question de santé publique !
La question des droits d’auteur est également cruciale, pour l’ensemble des droits de la production intellectuelle et artistique. Leurs modèles économiques sont percutés. Les IA s’accaparent de cette production pour capter la valeur ajoutée.
Vous avez également invité l’ex commissaire européen, Thierry Breton. Pourquoi ?
Je suis très content qu’il ait accepté de venir. Sur beaucoup de sujets, je ne partage pas ses options politiques, mais sur la question de la souveraineté numérique, il est celui qui a mené le combat pour construire les standards européens du numérique. Les législations qu’il a portées sont violemment attaquées. C’est le signe que l’Union européenne est très puissante, par sa position de premier marché du monde.
A-t-on tendance à oublier cette puissance de l'Union europénne ?
Oui, on la brade ! Pourtant, notre capacité de réguler est notre atout. Et je crains très fort qu’on saborde notre réglementation numérique pour acheter la paix avec Trump et ses alliés. Les premiers lobbyistes européens de l’abandon de notre souveraineté européenne, ce sont les formations d’extrême droite, ces patriotes en carton.
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