Une chronique à écouter

« Samuel Etienne est le Michel Drucker de Twitch en plus marrant, intelligent et BG”, voici la comparaison établie par un commentaire sous une des rediffusions YouTube de l’émission Twitch “L’Hebdo est tienne” animée par Samuel Etienne. Le divan rouge le plus célèbre du PAF sera-t-il bientôt remplacé dans le cœur des spectateur·rices par les néons aux couleurs vives, indispensable élément de décor de l’univers du stream ? Une chose est sûre : Twitch, la plateforme de vidéo streaming, rachetée en 2014 par Amazon, se professionnalise et a des airs de cousine, un peu plus branchée, avec la télévision.

Record d'audience sur Twitch

Certes, les petites productions homemade de gaming diffusées depuis une chambre ou un salon restent la marque de fabrique de Twitch mais le succès de certaines émissions pousse leurs concepteurs et conceptrices  à rêver plus grand. Pour la deuxième saison de Backseat, le talkshow politique phare de Twitch, son créateur Jean Massiet a “vocation à tutoyer les plus grandes émissions de la télé ou de la radio” et a d’ores et déjà ouvert l’émission au public. Côté invités, l’émission de divertissement Popcorn n’a rien à envier à Michel Drucker puisque Thomas Pesquet, Pierre Niney ou encore BigFlo et Oli s’y sont déjà rendus.

On pourrait ajouter à cette liste la diffusion de le Zevent, une sorte de Téléthon sur ordinateur. Ou du GP explorer, cette course de Formule 4 entre 22 streameuse·eurs  et Youtubeur·euses organisée le 8 octobre dernier au Mans et retransmise en live sur la chaîne Twitch du plus populaire des YouTuber, Squeezie, et qui a rassemblé plus d’1 million de spectateur·rices. Soit plus que les programmes proposés par Arte ou C8 le soir de l’événement. Bref, vous l’aurez compris, la frontière entre l’univers de la télé et celui du stream est de plus en plus poreuse.

Politique de la demande

Certes l’analogie a un petit goût d’évidence dans le cas de Twitch de par le format live et le recours croissant au plateau de tournage. Mais YouTube aussi prend de plus en plus une coloration télé. Enfin pas tout YouTube, mais cet immense continent en voie de formation qu’on appelle la “creator’s economy”. L’algorithme de YouTube met en avant les vidéos qui retiennent le plus longtemps possible le plus grand nombre de spectateurs et spectatrices. Avec l’arrivée du grand public sur la plateforme, les créateur·rices de contenu qui veulent gagner en visibilité n’ont pas d’autre choix que de nicher leur ligne éditoriale sur du contenu mainstream et peu clivant. 

Ok mais la télé dans tout ça ? Et bien écoutez ce qu’Etienne Mougeotte, ancien directeur d’antenne de TF1, déclarait en 2003 à la revue Hermès, publiée par le CNRS : “Nous faisons une télé de la demande et non de l’offre. J’essaie de comprendre ce que sont les demandes du public et je m’efforce de répondre à ces demandes”. Qu’en retenir ? Que l’artisan du succès de TF1 dans les années 2000 et les concepteurs de l’algorithme du deuxième moteur de recherche au monde (YouTube) parlent la même langue : celle de l’audience.

Résultat, les plus gros Youtuber·euses font évoluer leurs vidéos vers des concepts télé dignes des grands shows de divertissement. Squeezie réalise des formats de 50 minutes “Qui est derrière la porte”, Inoxtag se filme relevant des défis comme passer 7 jours seul sur une île, et l’américain MR Beast, le créateur le plus suivi sur la plateforme, débourse 3.5 millions de dollars pour réaliser une vidéo reproduisant grandeur nature les épreuves de Squid Game, la série sud-coréenne qui a fait disjoncter la planète Netflix en 2021.

Pour décrire l’ampleur du phénomène, la chaîne YouTube Produit Internet parle d’ailleurs de “netflixisation de YouTube”. Conclusion : entre Netflix, YouTube et Twitch, la télé s’incarne dans de nouveaux corps mais son esprit, lui, est toujours là.