Rennes, samedi 20 mai, le soleil écrase tout sur le parvis de l’esplanade Charles-de-Gaulle. À l’ombre des para-sols, sur des transats, des festivalier·ères profitent de la chaleur le temps de la pause méridienne. Ils et elles sont venues participer au Stunfest. Le rendez-vous, depuis 2005, des amateur·rices de jeux vidéo et de la culture les entourant. Tropisme oblige, sur les écrans LED du Liberté, la plus grande salle de spectacle de la ville, un slogan défile : « Galette saucisse et jeu vidéo ». Une façon somme toute sympathique de planter le décor de ce festival atypique et a priori assez unique au monde.

À l’origine, explique Sybille, salariée de 3 Hit Combo, l’association organisant le festival, « Aymeric Lesné, le fondateur, cherchait des personnes avec qui jouer, alors il a créé ce festival ». Pendant trois jours, un public éclectique composé d’amateur·rices et de professionnel·les de tous âges, styles, genres, se réunit dans ce lieu de brassage mêlant le gaming à la danse, la mu-sique aux autres joyeusetés dont les Rennais·es ont le secret. Anaïs Cochennec, chargée de communication pour le festival, précise : « Le Stunfest est unique, dans le sens où nous aimons mélanger les genres et voir ce qu’il se passe ! L’association porte toujours plus haut son envie de faire du spectacle vivant autour du jeu vidéo. Pour l’heure, nous ne sommes pas très nombreux en France à proposer ce genre d’événement. » Si en dix-huit ans le festival a su asseoir une certaine popularité, avec 7 000 visiteur·euses cette année, il peine à trou-ver sa place auprès des financeurs publics. La mairie de Rennes refuse de lui donner accès aux subventions culturelles, dotation indispensable pour être à l’équilibre financier. En 2018, le festival était déficitaire de 70 000 euros. Pour combler les pertes, l’association 3 Hit Combo fait appel au financement participatif.

Duos inédits

Pourtant, au Stunfest, la culture est bien présente et les initiatives visant à sortir le jeu vidéo de ses représentations caricaturales ne manquent pas. Sur la grande scène, des danseur·ses et des joueur·ses s’affrontent pour le titre du Fighting Dance Battle. Un concept surprenant né d’une rencontre entre les organisateur·rices du festival et le Centre chorégraphique national de Rennes et de Bretagne. Les duos sont composés d’un·e gameur·se et d’un·e danseur·se s’affrontant chacun·e, tour à tour, dans leur spécialité respective. Le tout est diffusé en direct sur Twitch. Pour gagner, il faut terrasser son adversaire à Street Fighter 6 et gagner le cœur du public lors de la battle de danse. Yuyu, danseuse semi-professionnelle de hip-hop, a découvert le concept en arrivant sur place. « Je savais que je venais pour danser, mais je ne savais pas que c’était sous cette forme. C’est super intéressant, je me suis retrouvée immergée dans un univers que je ne connaissais pas. La danse hip-hop est très proche des arts martiaux, je me suis adaptée au contexte pour transmettre ma personnalité et mon énergie. » Oro, son partenaire du jour, complète : « Les affrontements sont retransmis sur les écrans géants. Mon personnage, c’est ma façon de transmettre mon énergie. » Pour les organisateur·rices, c’est une manière d’interroger les frontières entre la performance artistique et l’e-sport. Plus classique, dans l’espace curiosité, on retrouve l’ambiance bruyante des anciennes salles d’arcade. Des adultes, souvent accompagné·es de leurs enfants, s’adonnent au plaisir régressif des bornes mythiques comme l’incontournable Pac-Man, et testent des con-soles aux accessoires surprenants.
Mais c’est sur la grande scène que l’inter-génération prend tout son sens avec le Trophée des Séniors Nord-Ouest, dernière étape avant les championnats de France. L’épreuve, organisée en partenariat avec l’association Silver Geek, voit des binômes de personnes âgées, coachées par des jeunes, s’affronter au bowling sur la Wii. Sur les gradins, Marcel, le champion de France 2022, regard brillant, appuyé sur sa canne, encourage son équipe du haut de ses 95 ans. Dans la tribune, des jeunes acclament avec enthousiasme les compétiteur·rices et leurs performances. Cette année encore, l’équipe de la résidence L’arbre d’Or de Laillé (35) l’emporte. Yvette Bernier et Daniel Tomio, tous deux âgés de 83 ans, posent fièrement pour la photo devant un public chauffé à blanc. Yvette, visiblement émue, nous confie n’avoir jamais joué à la console avant de relever ce défi.

Pendant trois jours, un public éclectique se réunit dans ce lieu de brassage mêlant le gaming à la danse, la musique aux autres joyeusetés dont les Rennais·es ont le secret.

Tester les nouveautés

Derrière la grande scène, dans un espace plus feutré, faiblement éclairé, s’alignent sur des dizaines de mètres les éditeur·rices de jeux indépendants, ou « Indies » dans le jargon attitré. L’occasion unique de rencontrer leur public et, pour ce dernier, de tester les nouveau-tés. C’est le cas de Romain, Thibault et Marie, trois trentenaires rennais habitués du festival. D’une seule voix, ils expliquent que pour eux, « c’est un rendez-vous entre amis. C’est un avantage de jouer à côté des développeurs, on peut discuter et poser des questions, mais on aime aussi le côté intercommunautaire qu’il n’y a pas dans d’autres festivals ».
Dehors, les derniers rayons de soleil teintent l’esplanade d’une douceur orangée. La soirée commence autour d’un apéro quiz consacré aux musiques de jeux vidéo. Assis sur une table face à un public jovial, l’animateur balance ses sons. Une odeur de saucisses grillées émane d’un food truck. Dans le public, les bras se lèvent et les réponses tombent. C’est pointu. Pas de doute : le Stunfest, c’est du jeu, de la culture et des galettes saucisses