« Choisir, c’était renoncer pour toujours, pour jamais, à tout le reste, et la quantité nombreuse de ce reste demeurait préférable à n’importe quelle unité », écrivait André Gide dans Les Nourritures terrestres (1897). Ces quelques mots sont presque devenus une maxime que nous avons tendance à raccourcir dans certains moments clés de nos vies personnelles comme professionnelles : « Choisir, c’est renoncer. »

Pourtant, désormais, pourquoi choisir quand tout est à portée de clic ou de pouce ? Quand les vidéos s’enchaînent et les algorithmes choisissent pour nous ? Pourquoi se réfréner et entrer dans la frustration du renoncement ? Le « tout, tout de suite », prend le pas devant l’offre pléthorique du numérique, et l’acceptation de la frustration devient presque un combat du quotidien. La déconnexion est au programme, pour ne pas céder aux sirènes. Et pour maintenir notre santé mentale à flot, voilà que nous devons renoncer de plus en plus, quitte à flirter sans arrêt avec le FOMO, la peur de rater quelque chose. C’est dans ce creux existentiel que vient se placer notre rapport aux écrans, dans un toujours plus qu’il est difficile de juguler, et cela, dès la petite enfance.

Surexposé·es ?

Les écrans modifient en profondeur nos manières d’interagir, de nous construire et même de nous tenir. Loin de l’image d’Épinal (en noir et blanc) d’une famille réunie devant l’unique poste de télévision du foyer, les écrans se sont démultipliés et miniaturisés, accaparant une part vertigineusement croissante de notre attention. En exagérant le trait, on peut presque affirmer que les écrans ne font pas partie de notre vie : ils sont et font notre vie, dans la mesure où nous nous en servons pour travailler, nous divertir, apprendre, gérer nos relations avec l’État, consommer, etc. L’écran est omnipotent à toutes les tranches d’âge : les personnes âgées sont de grandes consommatrices de télévision, les enfants passent jusqu’à six heures par jour devant les écrans, et les adolescents s’inquiètent de l’addiction de leurs parents aux smartphones. En somme, nous assistons à une sorte de révolution anthropologique charriant derrière elle des enjeux de santé publique et d’inclusion. Les effets de ce que certains appellent le « mal du siècle » sont pointés du doigt par les scientifiques et les politiques. Sommes-nous capables d’en prendre le pouls ? Ou l’écran fait-il écran et nous empêche-t-il de nous rendre compte de sa toxicité ?

Nous avons voulu prendre de la hauteur sur cette discorde qui occupe en lame de fond nos quotidiens. Nous avons souhaité écouter les groupes scientifiques, de Michel Desmurget à Sabine Duflo, en passant par Nawal Abboub et Serge Tisseron. Nous avons interrogé les politiques, notamment Caroline Janvier, députée Renaissance, au sujet de la loi qu’elle a portée pour faire de l’usage des écrans un enjeu de santé publique, dès la petite enfance. Nous avons interrogé notre rapport à l’écran à tous les âges, dans des contextes variés, en allant échanger avec les exclu·es volontaires qui refusent de se laisser happer par leur smartphone, tout comme les exclu·es du numérique, ceux et celles qui peinent à rester connecté·es à la société.

En parallèle de ce numéro charnière, Chut! Magazine prend aussi une nouvelle destination, afin d’apporter une autre réponse à cette inquiétude générale : celle d’un nouveau support papier dédié aux adolescent·es. Nous souhaitons les accompagner, les questionner, les aider dans leurs usages des écrans en particulier, et du numérique de façon plus large. C’est pourquoi nous avons choisi de créer Chut! Explore, un magazine de culture numérique dédié au 10-15 ans, disponible sur abonnement, en bibliothèque, au CDI du collège et dans les comités d’entreprise qui le partagent avec leurs collaborateur·rices parents ou grands-parents d’adolescent·es.

Le papier reste toujours notre point d’ancrage, même s’il est augmenté et amplifié par des contenus en ligne, qui invitent à repenser le numérique et notre rapport à lui, de façon éthique, mixte et citoyenne.

Bonne lecture.