Se réapproprier le fil du temps

Le Club de Chut ! prend la parole. À la première personne du pluriel. Le Club, ce sont nos abonné·es de la première heure, nos fidèles, nos inconditionnel·les. Ensemble, ils et elles dessinent des pistes pour nous réapproprier ces heures et minutes gaspillées.
SLASHEUR, SLASHEUSE… dans nos métiers, où les technologies numériques tiennent une large part, assumer des activités multiples n’est pas rare. Les entrepreneur·euses et travailleur·euses du secteur font souvent face à un agenda éparpillé façon puzzle. Et si on ajoute à cet emploi du temps de ministre quelques obligations familiales, nous voilà reprenant les gimmicks du lapin blanc d’Alice au pays des merveilles, courant sans répit, l’œil angoissé sur sa montre à gousset. En retard, nous ne cessons d’être en retard. La course du Soleil nous rappelle pourtant que le temps n’est pas à rallonge.
Le mouvement n’est pas nouveau. Pline l’Ancien, déjà, parlait d’un monde essoufflé. Mais notre hypermodernité nous tient dans un paradoxe inédit : les applications numériques se multiplient pour accompagner notre efficacité dans nos tâches. Trouver une information n’a jamais été aussi aisé. Et pourtant notre temps s’engloutit, sans que nous sachions toujours où il disparaît.
Hyperconsommation d'informations
La réponse se niche dans les statistiques de nos smartphones. Régulièrement, elles nous rappellent où passent nos heures en fuite : dans la consommation d’une masse infinie d’informations et de données. Utiles comme futiles, emmêlées. Comme les années 1960 ont consacré l’hyperconsommation des biens, le début du XXIe siècle nous plonge toutes et tous dans une hyperconsommation des informations. Une façon de passer notre temps qui nous plonge, parfois, dans un rôle d’observateur passif. Un institut de recherches américain, le Information Overload Research Group, a même évalué que mille milliards de dollars s’évanoui- raient chaque année en raison du temps passé à ingurgiter des infos, aussi vite oubliées qu’un mouvement de scroll.
Notre temps, c’est le nerf de la guerre des plateformes. Leur cœur de business, c’est d’accrocher notre attention et de ne jamais la lâcher. Nous installer dans un présent permanent. Elles abusent de notre besoin de gratifications immédiates.
Le mouvement peut-il être inversé ? Nous pouvons nous inspirer de précédentes prises de conscience vis-à-vis de la tech. La protection de la vie privée était le cadet des soucis des Gafam : l’Union européenne, avec le RGPD (Règlement général de la protection des données), est parvenue à imprimer une conscience de l’importance de la privacy. Le chemin commence à s’amorcer autour de l’empreinte écologique du numérique. Traçons le même chemin sur l’économie de l’attention. Confortons nos responsables politiques que la réglementation, dans toutes les nuances de la palette, est entre leurs mains.
Les pratiques de nudging peuvent faire office d’outils. Imaginons un design qui inciterait l’usager·ère des plateformes à s’inscrire à un cours de cuisine « in real life », parce qu’il ou elle a liké 14 vidéos de recettes sur TikTok. On peut même imaginer un classement des applications et outils dans cette perspective, qui ouvrirait, par exemple, des facilités de financements publics. Apple commence à le comprendre, en proposant dans ses derniers modèles de nous aider à contrôler notre temps passé sur nos téléphones.
Le temps nous appartient
Il faut donc se réapproprier notre rapport au temps et faire savoir aux mastodontes du numérique que nous avons conscience des effets profonds que leur captation de notre attention collective produit.
Notre rapport au temps, la façon dont nous le dépensons n’est jamais neutre. Nos choix de nous consacrer à telle ou telle activité sont personnels, voire politiques. Refuser le « time is money » délétère du productivisme. S’inspirer des entreprises coopératives, qui permettent à leurs salarié·es de contribuer pendant leur temps de travail à des projets d’intérêt collectif, indépendamment de leurs activités commerciales. Valoriser la déconnexion pour en faire une véritable culture dans toutes les organisations.
Prenons conscience du temps qui nous a été volé, pour mieux le redistribuer. Parce que notre temps est à nous.
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