Arrêter de vieillir, changer le passé, faire un tour dans le futur… La thématique du temps est partout sur nos écrans et dans nos livres. La question nous obsède. Si l’on en croit Claude Ecken, auteur des Souterrains du temps (Somnium, 2017), les racines mêmes de la science-fiction (SF) sont nées de notre prise de conscience du temps : « Ce genre apparaît au XIXe siècle, pas seulement face à l’industrialisation, mais aussi grâce à l’arrivée de la paléontologie », détaille-t-il. « On se rend compte qu’avant l’humain, il y a des milliers d’années, il y avait d’autres animaux qui dominaient la planète. » Surgit alors la notion d’un temps long, beaucoup plus long que celui déterminé par la Bible. Les regards changent, et les imaginaires s’emballent.

Dans le film Time Out, l’unité d’échange n’est plus l’argent mais le temps. Les pauvres se battent pour gagner chaque jour des précieuses secondes pour sub- sister pendant que les riches frisent l’immortalité. Chez George Orwell, dans 1984, on travestit le passé pour mieux contrôler l’avenir. Tout est modifié, effacé, remplacé. Dans L’Œil du purgatoire, roman de Jacques Spitz datant de 1945, des bactéries permettent de voir en avance dans le temps. Seul bémol : la personne contaminée voit de plus en plus loin dans le futur, jusqu’à se retrouver uniquement entourée de squelettes. Et souvent, tout ne se passe pas comme prévu : c’est le paradoxe temporel. Dans Le Voyageur imprudent de René Barjavel, le héros tue involontairement son ancêtre lors d’un voyage dans le temps. Résultat ? Il n’est pas censé être né dans le futur… Du côté du film Edge of Tomorrow, Tom Cruise, à la manière de Bill Murray dans Le Jour de la marmotte, revit en boucle la même journée.

Robinsons de l’espace

Pour Howard Phillips Lovecraft, auteur américain pionnier de la science-fiction horrifique, « le combat contre le temps est le seul véritable sujet du roman ». Un constat que valide Danièle André, maîtresse de conférences en civilisation et cultures populaires états-uniennes, spécialisée en science-fiction : « On veut échapper au temps, se mouvoir sans être limité par le temps, échapper à la vieillesse, avoir un impact sur l’histoire, mettre sa marque, changer les choses… » Même si le voyage dans le temps ne fascine pas tout le monde : « C’est propre aux civilisations occidentales, qui ont une vision du temps linéaire, avec un passé, un présent et un futur. Dans d’autres cultures, notamment asiatiques, le temps est vu comme étant circulaire », analyse l’enseignante-chercheuse au CRHIA (Centre de recherches en histoire internationale et atlantique).

Autre thème récurrent de la science-fiction : la mortalité de l’espèce humaine. Dans Seul sur Mars et dans Interstellar, où le personnage principal se retrouve seul après un échec de sa mission, ou encore dans Passengers — les protagonistes, à bord d’un vaisseau censé les amener vers une nouvelle planète, sont accidentellement tirés de leur sommeil artificiel quatre-vingt-dix ans trop tôt —, les robinsons de l’espace font surgir des questionnements métaphysiques. « Ces situations rendent compte à la fois que nous sommes un animal social, et que le temps passe très lentement quand on est tout seul », s’amuse Danièle André.

En science-fiction, on peut développer tous ses fantasmes, ce que ne peut pas faire le scientifique, qui lui doit donner des arguments, des preuves. Nous, on a le droit de rêver.
Claude Ecken

Inspirations mutuelles

La SF se nourrit en permanence des possibilités offertes par les découvertes scientifiques et les progrès techniques. L’inverse est aussi vrai. Dès 1953 par exemple, l’écrivain Isaac Asimov, biochimiste de métier, imagine des voitures du futur qui se conduiraient toutes seules. En 2022, la commercialisation de véhicules autonomes est pour demain. « La SF avait inventé avant l’heure tout ce qui est visioconférence, la télé, les téléphones », assure la chercheure Danièle André. Coïncidence, inspiration ou prédictions prophétiques ? Peut-être un peu des trois à la fois : « Nous avons besoin de rêver, et des films tels que 2001, l’Odyssée de l’espace, Matrix, Avatar nous fournissent un horizon dans lequel on peut se projeter », explique Claude Ecken. Avantage de la fiction : elle peut tout se permettre. « En science-fiction, on peut développer tous ses fantasmes, ce que ne peut pas faire le scientifique, qui lui doit donner des arguments, des preuves. Nous, on a le droit de rêver », conclut l’auteur. Des fictions qui servent de base de réflexion aux scientifiques comme aux politiques pour tenter d’anticiper l’avenir, et d’en saisir les enjeux, les dérives et les espoirs. Si l’on prend l’exploration spatiale : l’une des volontés de la science-fiction a toujours été d’aller plus vite que la lumière, chose théoriquement impossible. Les créateur·rices s’en sont donné à cœur joie pour contourner ces obstacles de la physique.

Dans Les Vaisseaux du temps, Stephen Baxter trouve une parade aux paradoxes temporels créés par les machines à voyager dans le temps. À chaque passage, un opérateur quantique vous indique l’univers parallèle le plus probable, le moins risqué.

Le temps de voyage pour se rendre sur cette planète lointaine est trop long ? Dans Alien, l’équipage est en hibernation pendant plus de dix mois avant d’être ré- veillé par un étrange signal radio… Comment traverser l’univers en un minimum de temps ? Dans le film et les séries Stargate, le concept des trous de ver, objet hypothétique qui créerait un pont à travers l’espace-temps, prend la forme d’un portail temporel appelé « porte des étoiles ». Aujourd’hui, certaines théories sorties du chapeau de la science-fiction sont sérieusement étudiées par la science. Restez vigilant·es, donc, le scénario du prochain film que vous verrez dessinera peut-être les contours technologiques de notre futur !