Cet article est issu du magazine Chut! n°7 – Lost in election, paru en septembre 2021.

#transformationnumérique

Après Parcoursup et la réforme du baccalauréat, le lycée a fait l’objet cette année d’une nouveauté réservée aux professeur·es de français et de philosophie. Dans ces deux matières, qui font partie des épreuves terminales du bac (par opposition au contrôle continu), les copies ont dû être corrigées sur le logiciel Santorin. Présenté par le ministère de l’Éducation nationale comme un support numérique permettant de mieux répartir les copies entre les correcteur·rices, Santorin a reçu un accueil très mitigé. Bugs informatiques, copies mélangées, non anonymisées ou dont le scan est peu lisible, des dysfonctionnements ont parfois alourdi la charge de travail des enseignant·es. Selon le ministère, l’impact de ces aléas informatiques a été mineur, mais pour nombre de professeur·es, le symbole est fort.

Particulièrement mobilisé·es, les professeur·es de philosophie ont pour beaucoup vécu la numérisation des copies comme une remise en question de leur profession et regrettent de ne pas avoir eu voix au chapitre. Dans l’académie d’Aix-Marseille, quarante professeur·es ont publié le 21 juin une tribune signée par 350 de leurs collègues, annonçant leur intention de ne pas ouvrir Santorin et fustigeant ce qu’ils jugent être une volonté de « détruire la relation pédagogique ».

« Des choix politiques »

Le même jour, à Marseille, ce comité disserte publiquement sur un des sujets proposés aux candidat·es au baccalauréat : « Sommes-nous responsables de l’avenir ? » Au premier rang de leurs préoccupations s’affiche le souci d’instaurer un vrai débat démocratique sur la question du numérique. Un gréviste rappelle que, si le numérique représente l’avenir, ce dernier doit se construire dans l’échange collectif et le temps long. « Le rectorat nous présente le progrès technologique comme une évolution naturelle, mais une évolution vers quoi ? Il n’y a pas d’évolution naturelle, il y a des choix politiques », assène Renaud Garcia, l’un des professeur·es qui se sont prêté·es au jeu de la dissertation. Au fil de la discussion, les enseignant·es expriment le sentiment d’être atomisé·es derrière leur écran d’ordinateur, moins armé·es pour aider à distance les élèves, et s’inquiètent de voir s’effriter la frontière entre temps de travail et temps consacré à la vie privée.

Les derniers mois, marqués par l’enseignement à distance et des changements dans les procédures d’évaluation des élèves, ont largement contribué à ces réticences. La colère déclenchée par Santorin masque une préoccupation plus générale sur la façon dont le numérique transforme l’éducation et le lien entre professeur·es et élèves. Rejetant le terme « technophobes » qui leur a parfois été accolé, la plupart des participant·es à la réunion appellent de leurs vœux une véritable politique publique de l’éducation au numérique. Citant Hannah Arendt, ils et elles affirment vouloir « accueillir l’élément de nouveauté que chaque génération porte avec elle », mais redoutent qu’une transition numérique précipitée et sans concertation dégrade l’institution scolaire.