Bonjour Frédéric, comment devient-on fondateur de Simplon ?

Frédéric Bardeau : Je travaille dans le domaine du numérique depuis 20 ans et je suis passionné par les technologies. Mon parcours m’a amené à me spécialiser dans les ONG, puis j’ai donné des cours de numérique au Celsa. C’est là que l’idée de Simplon est née. Deux de mes étudiants m’ont parlé des bootcamp, ces centres de formation accélérée au code venant des États-Unis. Ils voulaient adapter le format en le rendant gratuit et en l’adaptant à un public de personnes réfugiées.  L’école Simplon a ouvert selon ce modèle il y a 6 ans, la même année de naissance que l’école 42. À l’époque, ce positionnement d’un numérique inclusif, nous étions peu nombreux à nous y intéresser.

C'est quoi être un entrepreneur social ?

Frédéric Bardeau : Clairement, pour moi l’entrepreneuriat social, c’est l’avenir du capitalisme. L’idée derrière le concept, c’est d’être une entreprise à impact positif, l’entrepreneuriat social étant l’une des formes de l’entrepreneuriat positif, l’aile gauche en fait, la plus radicale, celle qui demande le plus de contraintes. Mais il y a aussi les entreprises à mission, ainsi que la RSE, quand une entreprise opte pour une démarche ISO 26 000, ou un label global compact. Voilà, vous avez là les trois grandes familles de l’entreprise à impact positif. C’est l’avenir, ça !

Le web éthique, en vrai, cela donne quoi chez Simplon ?  

Frédéric Bardeau : C’est une vision à 360 ° chez nous. Cela commence par les technologies et les logiciels libres qui ont permis de créer le web. Nous privilégions l’open source. 99 % des technologies à Simplon sont open source, ce qui ne nous empêche pas de travailler avec les GAFA. Mais le gros du réacteur, disons, c’est vraiment l’open source.

Nous tenons également à respecter les standards de qualité, selon des règles de respect comme le principe d’accessibilité, avec des sites internet qui s’affichent correctement sur tous les supports, mobile, tablette, desktop.

Et bien sûr, nous sommes particulièrement soucieux de l’impact écologique du numérique. C’est même un sujet qui nous tient particulièrement à cœur depuis plus d’un an. Il existe des groupes de travail au CNRS qui explore le sujet, des communautés Green IT également. Il y a clairement des bonnes pratiques à mettre en œuvre, par exemple avec une éco conception des logiciels, une vraie prise en compte des ressources machine. L’impact écologique du numérique, c’est vraiment le matériel. Ce ne sont pas les data centers permettant de stocker nos données, comme les mails par exemple. Ils polluent aussi, mais dans une moindre mesure. Alors, chez Simplon, nous travaillons avec des ordinateurs recyclés pour prolonger la durée de vie du matériel. Tous les appareils technologiques sont composés de métaux rares, dont l’exploitation mène à des situations catastrophiques, comme au Congo. Quant au recyclage, pour l’instant, c’est quand même aberrant, mais personne n’a trouvé de solutions, et surtout, personne ne veut en parler ! La fondation Simplon propose une exposition photo en ce moment à la Mairie du 2e arrondissement de Paris : Que deviennent nos déchets électroniques. Les photos du photographe allemand Kai Löffelbein sont sublimes, mais font froid dans le dos : on y voit des monticules d’ordinateurs, et des personnes évoluant dans ce paysage sordide, entourées de matériaux toxiques.

Peu de femmes s’intéressent aux métiers du numérique, et pourtant nous avons besoin d’elles. Chez Simplon, c’est un sujet important. Où en êtes-vous ?

Frédéric Bardeau : C’est vrai, c’est terrible, le nombre de femmes dans le numérique régresse tous les ans ! Et c’est spécifique à la France, ce n’est pas le cas dans plein d’autres pays en Asie ou encore au Maghreb.

Chez Simplon, nous sommes victimes de notre succès. Dès les premières années, nous avons eu 38 % de femmes dans nos formations. A présent, nous doublons de taille tous les ans. Là où il nous a fallu trois ans pour former 1000 personnes, aujourd’hui ce sont 1500 personnes formées par an. Et forcément, parce qu’il y a du volume, le nombre de femmes a légèrement baissé, on est à 31 % actuellement. Ce n’est pas suffisant.

C’est pourquoi nous nous sommes engagés à avoir 50 % de femmes pour fin 2020. Cela ne va pas être simple : les fonds de financement sont largement dédiés aux personnes très peu qualifiées, or les femmes sont souvent plus qualifiées que les hommes. De plus, il y a très peu de femmes parmi les réfugiés. Ce sont plutôt les hommes qui partent chercher de l’aide. Forcément, cela biaise les chiffres en termes de genre.

Alors, comment fait-on pour que ça change ?

Frédéric Bardeau : Il y a toute une chaîne dans laquelle chaque maillon de la chaîne est important : à l’école ou dans les familles, les stéréotypes de genres sont fortement ancrés, chez les profs et les parents. Beaucoup de choses relèvent de l’éducation nationale. Les conseilleurs d’orientation par exemple, jouent un rôle clef. Malheureusement, ils ne sont généralement pas sensibilisés aux problématiques de genre.

Ensuite, du côté des écoles d’informatique, il y a encore beaucoup de travail à faire : peu sont women friendry. Certaines laissent passer des comportements très limites. La culture geek est un univers bourrin et macho. Bref, ce n’est pas un environnement accueillant pour les femmes.

En bout de chaîne, on va chez les entreprises. Les biais de genre, bien sûr, ça existe dans le recrutement. Chez Simplon, nous faisons donc des ateliers à destination d’un public RH, pour comprendre les biais de genres et former les collègues masculins. Nous formons aussi nos propres formateurs aux biais de genre !

Il y a aussi une question de métiers : les métiers du numérique donnent l’image de métier technique. Or, les femmes se reconnaissent peu là-dedans. Ce qu’elles aiment souvent, c’est résoudre des problèmes. Sur l’intelligence artificielle par exemple, les femmes se sentent plus concernées.

Chez Simplon, nous avons même créé un atelier de 6 semaines, le SAS hackeuses, qui n’est ouvert qu’aux femmes. L’idée, c’est justement de créer un environnement de confiance. Au départ, je ne croyais pas à la non-mixité. Mais je m’aperçois que c’est très efficace, ça fonctionne vraiment très bien ! Les femmes sont plus sûres d’elles, elles décrochent moins, elles ne se démotivent pas.

Comment peut-on démystifier le numérique ?

Frédéric Bardeau : Aussi simplement qu’en essayant. Il faut mettre le doigt dedans. Personne ne peut être un expert du numérique, il y a tellement de métiers ! Alors, faites un cours de Scratch, allez dans un Fablab, cela fait tout de suite tomber les stéréotypes, et puis vous verrez, c’est hyper valorisant de faire sa première page web ou impression 3D. Je pense qu’il faut casser la figure du geek, aujourd’hui tout le monde est dans le numérique, qu’on soit prof, instit ou agriculteur. Alors, faire une formation, c’est parfaire sa culture. C’est important pour tous les citoyens. Le numérique, ça ne s’apprend pas en écoutant les experts. Il faut le faire, même si c’est juste une après-midi.

C’est quoi votre plus belle victoire, la levée de fonds que vous venez de réaliser ?

Frédéric Bardeau : Cette levée de fonds, c’est une sacrée victoire, une grande fierté. Parce que ça valide notre business modèle. Mais il y a aussi toutes les victoires au quotidien, quand on trouve un job à un réfugié syrien, ou quand un décrocheur passe une licence pro et devient formateur, quand une femme qui s’est faite licenciée, devient freelance et gagne 40 000 euros par an. Tous les jours, nous entendons de belles histoires. L’impact est direct parce que nos formations créent des jobs. Chez les développeurs, nous avons 80 % de réussite, ça aussi, nous en sommes très fiers.

C’est quoi les projets de demain pour Simplon ?

Frédéric Bardeau : Nous sommes présents dans 15 pays cette année, et nous souhaitons l’être dans 30 pays l’année prochaine. Nous avons 80 écoles, et nous serons bientôt à 100. Notre roadmap, c’est de continuer à créer des écoles, partout dans le monde. Nous allons également élargir les métiers sur les sujets de la cybersécurité, de la blockchain et du green IT. C’est un domaine où nous allons voir apparaître de nouveaux métiers, du type « économiseur de banque passante » !

Et puis nous avons un projet un peu fou : ce que nous faisons aujourd’hui avec les métiers du numérique, nous voulons le faire avec d’autres métiers dans transition écologique. En septembre, nous lançons une première expérimentation. L’idée c’est de mettre à jour la méthode Simplon, pour la mettre au service des métiers de l’économie circulaire… Ce serait merveilleux de créer tous ces emplois qui vont accélérer la transition écologique !