LA MACHINE NOUS REMPLACERA-T-ELLE, des pieds à la tête ? Après la mécanisation d’innombrables tâches ma-nuelles, au fil des révolutions industrielles des XIXe et XXe siècles, elle rivalise désormais avec les capacités cérébrales des humain·es. Ce fantasme a davantage pris corps avec la mise à disposition du grand public des intelligences artificielles génératrices de langage, dont le programme développé par l’entreprise OpenAI, ChatGPT, est devenu le nom commun. Depuis des décennies, l’intelligence artificielle supplée l’activité humaine. Et l’augmente, avec le principal but d’en accroître la productivité. Ce n’est pas la première fois dans l’histoire de l’humanité. Mais c’est sans doute la première technologie adoptée aussi rapidement au plan mondial, entraînant un impact aussi important sur les compétences humaines, même s’il ne semble pas encore totalement pris en compte par tous·tes, aujourd’hui. Les intelligences artificielles génératrices de langage portent, en premier lieu, cette perspective : l’automatisation en masse de certaines tâches, qui permettra de libérer le temps des travailleuses et des travailleurs pour plus d’efficacité.

Confidentialité

Gagner du temps. La promesse de ChatGPT et autres agents conversationnels réside là, pour les métiers jusqu’ici peu menacés par les intelligences artificielles, comme ceux du conseil, de la finance, de l’informatique ou du droit. Dans ces métiers, qui ont pu longtemps se croire épargnés, la question de données brassées se pose avec acuité, leur confidentialité étant, dans ces domaines, primordiale. Un impératif : se pencher très vite sur la réglementation de la data alimentant ces IA. Par ailleurs, désormais, les client·es s’interrogeront sur la réalité du travail fourni. Ne vont-ils et elles pas payer pour les conseils de ChatGPT ? Le défi posé à ces métiers est celui de la pertinence, mais aussi de la créativité : on ne demandera plus à un·e informaticien·ne de dérouler des lignes de code basiques, que l’IA peut aussi bien enchaîner, mais d’inventer, toujours plus. C’est ce qu’entrevoit aussi un rapport(1) de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui promet que l’IA est plus susceptible de changer la qualité des emplois que de les détruire, en automatisant certaines tâches plutôt qu’en remplaçant entièrement des fonctions. L’apprentissage du code va s’en trouver bousculé. Mais pas seulement : dans toutes les matières, les IA génératrices de langage changent la donne. Le développement de l’acculturation à ces outils constitue un impératif. D’abord, parce que l’utilisation pertinente de ChatGPT et consorts dépend principalement de la contextualisation des requêtes. Pour éviter d’obtenir des réponses trop généralistes ou terriblement biaisées, il est nécessaire d’apprendre à solliciter ces intelligences artificielles. Rappelons que les données auxquelles les IA s’abreuvent proviennent de tout le contenu du web, filtré par la requête de départ sur des algorithmes codés par des humains, principalement blancs, américains et hommes ! Il faut aussi les intégrer dans les apprentissages, avec cet avertissement en tête, sinon les inégalités d’accès aux savoirs et aux succès se creuseront encore.

ChatGPT vient interroger la posture des étudiant·es et le rôle des professeur·es. Cet outil impose de sortir enfin de la culture de la note pour aller vers une culture de l’apprentissage.

Apprentissages bouleversés

Au-delà, les IA bouleversent la nature même des apprentissages. Elles sont conçues pour augmenter les capacités humaines. Mais si elles prennent en charge l’essentiel des compétences neuronales, les apprenant·es trouveront-ils et elles encore un intérêt à l’acquisition des connaissances et aptitudes ?

ChatGPT vient interroger la posture des étudiant·es et le rôle des professeur·es. Cet outil impose de sortir en-fin de la culture de la note pour aller vers une culture de l’apprentissage.

Face aux craintes de triche et de plagiat, la bonne évaluation ne consiste-t-elle pas en un examen oral en chair et en os, prof et élève se faisant face ? C’est le pari que ChatGPT nous permet de formuler : l’intelligence artificielle signera le retour de l’humain.