Digital natives : un mythe à déconstruire pour reconnecter parents et enfants ?

L’expression digital native a été popularisée au début des années 2000 pour désigner cette génération Z, née avec Internet. L’idée ? Les jeunes auraient une intelligence numérique « innée », là où les adultes seraient condamnés à rester des « immigrants numériques », maladroits et dépassés. En un clin d’œil, les rôles sont inversés : les enfants deviennent les experts, les parents les ignorants. Sauf que cette idée, est non seulement fausse… mais ne serait-elle pas responsable de cette déconnexion entre parents et ados ? Une chronique par Axelle Desaint, directrice au numérique d’Internet sans crainte.
Vous l’avez sûrement déjà entendue, cette phrase un peu résignée : « Tu sais, eux, ils sont nés avec, c’est normal qu’ils s’y connaissent mieux. »
Non, les jeunes ne sont pas des expert•es du numérique. Ce sont des utilisateurs habiles, oui, mais pas des connaisseur•euses éclairé•es. La plupart savent créer des contenus, poster, scroller, swiper. Mais maîtrisent iels les coulisses ? Comprennent-iels les algorithmes, les modèles économiques des plateformes, connaissent-ils leurs droits numériques, les risques liés à la surexposition, aux cyberviolences, à la désinformation ? Plus rarement.
Le refuge parfait des ados... et le piège des parents
Il faut bien le dire : ce mythe arrange tout le monde. Les ados y trouvent une forme de liberté. « T’inquiète, je gère ! » C’est la phrase magique pour que les parents ferment les yeux. Après tout, ils s’y connaissent mieux, non ? En réalité, cette autonomie affichée est souvent une manière de garder le contrôle sur un espace bien à eux, comme un cocon, loin du regard adulte.
Mais du côté des parents, ce récit a des effets bien plus insidieux. Il alimente un sentiment d’incompétence, d’illégitimité, parfois même de honte. « Je n’y comprends rien », « Je n’ai pas grandi avec ça », « C’est trop tard pour moi ». Résultat : une forme de retrait éducatif, involontaire, mais bien réel. Or, les enfants n’ont jamais eu autant besoin d’adultes pour les aider à se repérer dans des univers numériques foisonnants et pas toujours bienveillants. En restant bien ancré, ce mythe du digital native déresponsabilise les parents… et laisse les enfants seuls.
« LES ENFANTS N’ONT JAMAIS EU AUTANT BESOIN D’ADULTES POUR LES AIDER À SE REPÉRER DANS DES UNIVERS NUMÉRIQUES FOISONNANTS ET PAS TOUJOURS BIENVEILLANTS. (...) CE MYTHE DU DIGITAL NATIVE DÉRESPONSABILISE LES PARENTS... ET LAISSE LES ENFANTS SEULS. »
Et si on apprenait ensemble ?
Il est temps de déconstruire cette fable. D’abord parce que personne ne naît expert du numérique : ça s’apprend. Et surtout, parce que le rôle éducatif des parents ne repose pas sur une maîtrise technique, mais sur la capacité à dialoguer et à poser un cadre rassurant qui évolue avec son enfant. Accompagner son enfant sur les écrans, ce n’est pas savoir coder ni être sur tous les réseaux sociaux. C’est oser poser des questions, s’intéresser à ce qu’il fait en ligne, fixer des limites, parler de ses émotions, de ses inquiétudes, et trouver des contenus adaptés ensemble. C’est aussi accepter de ne pas tout savoir, mais de rester présent.
Le numérique, ce n’est pas une affaire de génération ni un terrain qu’on se dispute. C’est un espace commun qu’on explore ensemble. Et si les jeunes tapent plus vite, c’est avec vous qu’ils apprennent à ralentir, à questionner, à discerner. Alors la prochaine fois que vous êtes tenté de dire « moi, je suis largué », essayez plutôt : « Je ne suis pas né avec, mais je suis assez grand pour m’y mettre. » Et si vous confondez toujours Switch et Twitch, pas ne panique, cela vous fera un bon sujet de conversation au dîner.
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