Quel est votre parcours et votre lien au numérique ?

Mon parcours bénévole a commencé il y a des années, d’abord en France, mais aussi en Espagne où j’ai vécu quelques années. Le sujet du numérique est arrivé quand j’ai cofondé ma start-up Love For Livres. J’ai été confrontée alors à des problématiques liées à la tech : concevoir un site, programmer, rechercher des moyens techniques. C’est là que j’ai développé ma sensibilité sur le sujet.

Que dire des femmes dans l’écosystème numérique ?

D’abord, quelques chiffres : dans le monde, 3,7 milliards de personnes ne sont pas connectées. Les trois quarts d’entre elles sont des femmes. Et, plus inquiétant encore : l’écart se creuse, notamment dans les pays à faibles revenus. Pourtant, le numérique est une opportunité extraordinaire pour elles ! Et ce, sur différents plans. D’abord, économique : c’est un véritable gisement de potentielles carrières. Social, ensuite : les réseaux sociaux offrent la possibilité de faire de nouvelles rencontres et de s’entraider. Enfin, sur le plan de la lutte contre les violences faites aux femmes, avec l’existence de nombreux outils de signalement, de prévention et de soutien.

Quelles sont les actions d'ONU Femmes France sur le terrain ?

Nous avons lancé des centaines de programmes. En 2018, nous avons travaillé de concert avec des femmes soudanaises qui avaient manifesté pour accéder à plus de pouvoir et s’émanciper du joug patriarcal. ONU Femmes France a contribué à leur fournir des outils numériques leur permettant de s’exprimer plus largement et de sou-tenir leurs revendications. Au Rwanda, nous développons Buy From Women, une initiative qui me touche particulièrement. Avec cette plateforme numérique, les femmes agricultrices sont en mesure de mieux maîtriser leur production, d’accéder à leurs clients plus facilement et de gérer leurs équipes avec davantage de fluidité. Le numérique est un support de taille ! Au Kirghizistan, nous développons des outils d’autonomisation économique, notamment utilisés par des jeunes filles en zones rurales. En République Dominicaine, le numérique sert à stimuler l’intérêt des filles pour les mathématiques !

Les femmes sont aussi victimes du numérique : comment lutter contre les cyber-violences ?

La lutte contre les violences faites aux femmes est un des fers de lance d’ONU Femmes France. Tous nos programmes de formation au numérique intègrent des modules de sensibilisation. Destinés aux filles et aux garçons, ils reviennent sur la différence entre un délit et une opinion. En France, une femme sur cinq a quitté ou réduit son usage des réseaux sociaux après s’être fait harceler. Cela laisse des séquelles vivaces, pouvant aller jusqu’à la dépression voire au suicide. Au-delà de la vie personnelle, nous estimons que ces cyber-violences posent un problème démocratique. Les cyber-violences ciblées contre des femmes les réduisent à l’auto-censure et morcellent la liberté d’expression. L’objectif étant de les dé-tourner de leur engagement politique.

Dans certains pays, il y a presque autant d’hommes que de femmes dans les professions informatiques. Comment y parviennent-ils ?

Sur le sujet, nous n’avons que des hypothèses. Dans les pays émergents, les cycles d’innovation sont plus rapides : prenons le cas du paiement mobile en Afrique, par exemple, qui est arrivé bien plus tard en Europe. Une autre piste est celle de l’isolement. Le numérique servant d’interface avec le monde, à se relier aux autres, le be-soin d’accès aux outils numériques se fait sentir de façon plus forte. Enfin, dans un pays comme l’Inde, l’impulsion du numérique est immense. Le pays fournit une grande partie des services numériques actuels, et les femmes, font partie de ce vivier professionnel.

Vous travaillez à l’international, qu'observez-vous ?

La Covid ayant fragilisé les équilibres, il faut continuer d’investir dans le numérique et pour les femmes. La dématérialisation croissante est aussi une opportunité : la programmation informatique est un marché énorme, et ces métiers vont avoir besoin de main d’œuvre ! La question des rôles-modèles est très prégnante, il faut continuer à valoriser des femmes de tête. Dans notre lutte contre les violences faites aux femmes, nous constatons que, malgré ses limites, l’informatique propose de très bons outils pour aider les femmes, pour appeler à l’aide, capturer les violences, prendre à témoin… Nous essayons de capitaliser dessus. Nous collaborons avec des organismes tels que l’Unicef et d’autres ONG internationales. Lors du forum Génération Égalité organisé à Paris en juillet 2021, nous avons lancé une grande coalition pour rassembler entreprises, État et société civile autour d’une même cause. « African Girls can Code » a notamment vu le jour après cette initiative.