Quel était le but de vos études ?

On parle beaucoup du temps excessif que les jeunes passent sur leur smartphone, mais cela recouvre tellement d’activités que nous voulions y voir plus clair. Avec trois collègues chercheurs (Rizienne Mazengani, Martin Ragot et Julie Rochat), nous avons d’abord proposé à 60 étudiants de mesurer quotidiennement leur temps passés sur téléphone : c’était assez important, 4h30 en moyenne dont plus d’une heure sur les réseaux sociaux.

Nous voulions aussi voir si les outils de mesure du temps de leur smartphone les aidaient à ajuster leur consommation, mais les résultats étaient ambivalents : parfois les étudiants diminuaient leur consommation et d’autres fois, ils l’augmentaient. Nous avons alors décidé de les interroger pour savoir comment ils avaient vécu cette expérience.

Quels en ont été les principaux résultats ?

Le contexte de vie dans lequel s’encastre l’usage du smartphone est déterminant. Au début de notre expérimentation, une étudiante passant son temps sur son portable pendant les cours nous a confié, par exemple, qu’il lui arrivait de l’oublier chez elle depuis qu’elle effectuait son stage en entreprise. La sphère familiale et amicale de l’étudiant joue également un rôle important.

Les jeunes étudiants d’une vingtaine d’années viennent souvent de quitter le domicile familial, dans lequel leurs parents incarnaient un jugement d’autorité sur leur consommation d’écran à laquelle ils ne sont désormais plus confrontés. Même si, durant ces premiers mois d’indépendance, les étudiants ont tendance à augmenter leur utilisation de leur smartphone, ils deviennent peu à peu leurs propres juges et se fixent leurs règles.

Comment se traduit cet autocontrôle des étudiants ?

Comme Ulysse avec les sirènes, ils se dotent d’un mécanisme externe qui va les réveiller. Certains décident de regarder TikTok uniquement lorsqu’il ne leur reste que deux arrêts de bus avant d’arriver chez eux.

Une étudiante nous a confié que lorsqu’elle a besoin d’être concentrée en cours pour préparer un examen, elle s’installe à côté d’une de ses amies qui n’aime pas que l’on sorte constamment son portable.

En quoi cela témoigne de la capture attentionnelle des écrans ?

Quand les étudiants interrogés se font capturer par leur smartphone, c’est souvent parce qu’ils le veulent bien ! Lors des entretiens, ils nous ont souvent décrit la situation dans laquelle où, lors d’un cours, ils sentent une bascule de leur perception vers l’écran et n’entendent plus le professeur qu’en bruit de fond.

Ce qu’ils nous disent c’est qu’ils ne sont pas dupes de cette capture attentionnelle. Ils s’y engouffrent parce qu’ils ont évalué qu’il n’y avait pas de risque à se faire « capturer » à cet instant précis, soit parce que le cours est ennuyeux ou parce qu’ils savent qu’ils pourront avoir le temps de le rattraper par la suite. En période d’examens, les smartphones ne sortent plus des sacs !

Les jeunes se sentent souvent coupables du temps passé sur leur téléphone.
Jean-Marc Josset, économiste comportemental au sein de l’institut de recherche technologique bcom et chercheur chez Orange

Est-ce que ces observations sont généralisables ?

Ce que nous cherchons à comprendre en économie comportementale, ce sont les critères d’évaluation auxquels se soumettent les individus étudiés. Dans cette étude, la cohorte n’est pas assez importante pour généraliser les résultats, mais nous pouvons en tirer des pistes de réflexions pour de futures études à plus grande échelle.

Quelles sont ces pistes ?

Le nerf de la guerre, c’est de sortir de la culpabilité, d’essayer d’objectiver les choses. Les jeunes se sentent souvent coupables du temps passé sur leur téléphone. Mais c’est une culpabilité a posteriori : l’activité sur le téléphone est souvent justifiée. Les jeunes interrogés ne sont pas dupes du piège attentionnel que constitue leur téléphone et imaginent des techniques pour gérer leur temps d’écran… quand ils le veulent !

Jeux vidéo massifs en ligne, des effets positifs ?

avec Jean-Christophe Beaud, chef de projet innovation, Orange

Afin de mieux comprendre les pratiques de jeux massifs en ligne, comme World of Warcraft, Second Life ou League of Legend, nous voulions observer les mécaniques comportementales et sociales à l’oeuvre. C’est pour nous une façon de tenter de préfigurer ce qu’il adviendra dans le métavers.

→ MIEUX JOUER

Oui, les jeux amènent à des comportements addictifs chez une petite partie des joueurs, de l’ordre de 2 à 5 % selon les études que nous avons réunies sur le sujet [étude Kuss & Griffiths (2012)].

Dans une pratique dite « normale » du jeu vidéo, des études mettent en avant des aspects positifs, comme un sentiment d’accomplissement, un refuge contre les problèmes du monde réel, une amélioration de l’humeur et de la régulation émotionnelle, une diminution du stress et de la détresse émotionnelle.

D’autres études encore mettent en avant des compétences acquises comme celles dites managériales, sociales et collaboratives, tout comme des compétences très opérationnelles, comme la pratique usuelle de la langue de jeu ou encore la résolution de problèmes. L’étude de Koptur, parue en 2016, étudie même précisément la transférabilité des compétences acquises à travers le jeu à la vie de tous les jours.

→ ANTICIPER

On sait que les jeux massif en ligne sont conçus pour être addictifs. Le caractère permanent du jeu entraînant le fameux FOMO. Il est important d’interroger les modèles économiques des métavers proposés et d’agir sur les ingrédients de conception, comme par exemple des horaires de déconnexion obligatoires ou une utilisation limitée des récompenses proposées.

Mieux comprendre les effets de ces jeux sur les joueurs, c’est aussi mieux les concevoir demain.

Cet article a été réalisé dans le cadre d’un partenariat avec Orange.