Tumo, école numérique inclusive
Lumière tamisée, canapés et moquette au sol, l’ambiance calme et feutrée est en totale rupture avec nos représentations d’une école. Dans le bien nommé « grand salon », des adolescent·es âgés de 12 à 18 ans font partie des 1 100 jeunes francilien·nes étudiant la création numérique à l’école Tumo de Paris, une école qui propose des ateliers périscolaires et installée au Forum des images, au coeur des Halles.
Tumo est une école du numérique, née en 2011 à Erevan, la capitale d’Arménie. Elle scolarise gratuitement aujourd’hui 14 000 élèves. Depuis, le projet s’est développé à l’international, d’abord à Paris en 2018, sous l’impulsion d’Anne Hidalgo, puis à Moscou, Beyrouth et Tirana. Pour y participer c’est assez simple, il suffit d’être âgé de 12 à 18 ans. Aucun prérequis en art ou compétences informatiques ou matérielles n’est demandé. Les élèves « n’ont besoin de rien, tout est gratuit. Ils viennent juste comme ils sont » précise Élise Tessarech, directrice de l’éducation aux images et aux technologies créatives du forum des images.
Pour mener à bien les différents temps d’enseignement, l’école est équipée d’ordinateurs fixes dans les salles de classe ou sur les « tumobiles », des bureaux suspendus permettant de dégager l’espace au sol en cas de nécessité. Pour les ateliers d’autoformation, des Chromebook sont mis à disposition. Les élèves peuvent ainsi s’installer où ils le souhaitent dans le « grand salon » et travailler sur leurs différents projets. En plus de ce moment particulier, l’école propose deux autres temps répartis en soirée ainsi que les mercredi et samedi : les labs où les élèves sont accompagnés de professionnels et valident trois niveaux de formation et les masterlabs sorte de stages intensifs se déroulant pendant les vacances scolaires.
Élise Tessarech nous précise : « Dès le départ nous avons mené une réflexion sous les conseils d’un sociologue pour s’assurer d’une mixité sociale et de genre dans le recrutement de nos élèves ». Dans les faits, la politique volontariste a fonctionné, en 2023 l’école compte 44,6 % de filles, 53,4 % de garçons et 2 % de non binaires et 42 % d’élèves provenant de quartiers prioritaires de la politique de la ville. « Ça a marché. Aujourd’hui on a trouvé un équilibre qui nous permet d’ouvrir les vannes sans mettre en danger cet équilibre », conclut la directrice.
Ouvrir la voie
Floriane Couet, animatrice chez Tumo précise que cette politique de recrutement n’a de sens que s’il y a une continuité pédagogique. « Nous accueillons les élèves en dehors de la cellule familiale et scolaire, ce doit être une safe place pour ces jeunes parfois en phobie scolaire, situation de harcèlement ou autres difficultés. » L’animatrice a particulièrement à coeur de casser les stéréotypes de genre dans le monde du gaming et de l’industrie informatique. « Les femmes ne se sentent pas légitimes dans ces milieux alors je mets en place des stratégies pour permettre aux filles de prendre une place que les garçons ne leur laissent pas. » Floriane nous précise que dans ses ateliers par exemple, les garçons prennent tout de suite plus de place : « Je régule leurs prises de parole pour permettre aux filles de s’exprimer et prendre confiance, nous faisons intervenir des femmes reconnues dans le monde de la tech pour faire émerger ces modèles positifs. J’ai aussi mis à jour les slides que je projette pour que les femmes y soient plus visibles, que leur place soit normalisée. » Thomas Scotto, formateur en programmation précise « chez nous, les filles sont meilleures que les garçons mais il faut qu’elles viennent, c’est pour cela que la création de cet espace sécurisé (safe space) est essentielle » et de préciser « on a aussi des gamins qui viennent de milieux compliqués, qui n’existent pas en classe, ici on les considère, on leur donne de la valeur et on leur permet d’être fiers de ce qu’ils font ».
Une pédagogie alternative
C’est un peu l’histoire de Keira, 15 ans, qui met plus de quarante minutes pour venir du Val-de-Marne aux Halles. Elle s’est retrouvée orientée dans un parcours scolaire qui ne l’intéressait pas vraiment mais trouve un véritable épanouissement chez Tumo. « Je me sens valorisée ici, c’est incroyable, les professionnels sont là pour nous, on est passionné, on veut apprendre. Ce n’était pas facile au début, mais la pédagogie m’a donné envie de rester. Et puis ça fait plaisir d’avoir des amis avec qui pendant trois heures on peut partager les mêmes centres d’intérêt. »
Cette pédagogie nous précise Élise Tessarech c’est le « Learning by doing, apprendre par le faire, chacun à son rythme pour trouver un équilibre entre le savoir-faire et les acquis techniques ». Cette pédagogie proche de celle de l’éducation populaire est renforcée par un accompagnement individuel de chaque jeune par des animateurs diplômés et des supervisions de l’équipe par un pédopsychiatre spécialisé sur le rapport des adolescents aux écrans.
Joelly, 19 ans, est une Alumna, c’est-à-dire une ancienne élève de Tumo. Elle y a passé six ans. Elle confirme l’apport de Tumo dans sa construction personnelle. Elle étudie aujourd’hui l’informatique à l’université. « On n’est que cinq filles pour trente mecs, sans Tumo je n’aurais pas validé mon choix d’étude mais surtout je n’aurais pas été aussi à l’aise, j’aurais craqué c’est sûr, là je me sens légitime dans ce que je fais. » La jeune femme explique que le cadre éducatif proposé par l’école a favorisé son épanouissement « j’ai baigné dans la pop culture avec ce cliché de l’informaticien à lunette et ça bloquait mes capacités à me projeter dans ces métiers », mais aussi son autonomie « on apprend à mener un projet, à être actrice de notre apprentissage. »
« Pour ça il faut leur faire faire quelque chose qui les intéresse, quelque chose de beau, l’idée de l’école c’est de faire du créatif », précise Thomas Scotto qui par exemple fait coder à ses élèves des programmes de génération de poésie ou de « livres dont vous êtes le héros ».
En dehors de l’accueil des étudiants, l’équipe de Tumo intervient dans des écoles d’île-de-France ou des médiathèques. « Avec la Caf de Paris, on met en place des stages de prévention sur la fragilité scolaire. Mais on travaille aussi sur la mixité sociale avec la fondation Ardien par exemple », conclut Élise Tessarech.
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