Que veut dire gamifier la formation professionnelle ?

Frédéric Kuntzmann. L’enjeu premier de la gamification de la formation est de rendre les contenus attractifs pour retenir l’attention du public et des collaborateurs. Aujourd’hui, les collaborateurs ont besoin de faire des choses qui ont du sens et qui les intéressent, de préférence sous un format ludique. C’est donc un phénomène de société dans l’air du temps.

Chez My-Serious-Game la gamification en formation va s’articuler autour de leviers motivationnels. Par exemple le sentiment d’utilité, la notion de compétition ou encore vouloir absolument connaître la fin de l’histoire sont des moteurs de jeu.

Quelle est la différence entre le Serious game et le digital learning ?

Frédéric Kuntzmann. Tout d’abord, il est important de comprendre que le secteur de la formation en ligne n’est pas encore arrivé à maturité. Il continue d’évoluer et certaines sociétés ont développé leur propre vocabulaire. Le digital learning est plus complet et englobant. Il correspond plus à un parcours de formation et s’ouvre sur plusieurs formats.
Le serious game quant à lui s’apparente à l’apprentissage par entraînement, au moyen de simulations. Lors d’un jeu sérieux, on met les gens dans une situation de travail, de crise ou de collaboration par exemple. Grâce au formidable développement de la technologie, on va utiliser les mécanismes du jeu en réseau pour faire interagir les membres d’un groupe en temps réel. Par exemple on travaille avec les préfectures pour optimiser les temps et les prises de décision et l’assimilation des process, en cas d’alerte terroriste ou de crash d’avion. Travailler dans des situations virtuelles, sans enjeux, permet d’être plus efficace le jour où cette situation se présente réellement.

Nous utilisons le « level design », la création par niveaux. Par exemple dans la médecine, s’il y a suspicion d’AVC il faut aller très vite, les collaborateurs ont 90 minutes pour résoudre le cas du patient. Dans le premier niveau sans aléas tout fonctionne normalement : les machines fonctionnement, mais quelle est la procédure à suivre ? Cette étape valide la bonne compréhension théorique de tout ce que la personne est déjà censée savoir, ou éventuellement la remettre à niveau.

Ensuite, une deuxième simulation emmènera l’apprenant sur un terrain où tout ne se passe pas comme prévu : impossible d’accéder au dossier du patient à cause d’un bug informatique, l’IRM est en panne, le médecin principal n’est pas joignable, etc. Cette phase permet de solliciter les réflexes et affiner les réactions face à des cas particuliers. Comme la dimension émotionnelle est très importante dans ces situations d’urgence, nous prêtons spécialement attention au facteur humain, notamment la gestion du stress. Souvent, le second scénario va évoluer en fonction de l’évaluation faite lors de la première phase.

Que recherchent les entreprises avec qui vous travaillez ?

Frédéric Kuntzmann. Nous produisons environ deux programmes par semaine et les demandes sont très variées. Cependant, nous remarquons une réelle évolution dans les demandes. Il y a cinq ans, les entreprises se focalisaient sur la formation sécurité, management, ou l’introduction d’un nouveau produit. Les formats traitaient essentiellement de la connaissance et nous rencontrions de grandes résistances sur tout ce qui était gamifié.

Ensuite, petit à petit nous avons vu émerger un engouement pour les soft skills. Les marchés principaux aujourd’hui sont sur cinq ans, souvent dans le contexte d’une transformation d’une filière entière. C’est le cas du secteur de la métallurgie et l’introduction de la méthode additive, plus efficace, moins chère, plus écologique, mais qui supprime des étapes dans la production. Comment faire pour repenser la chaîne de production, du parcours scolaire au directeur d’achats en passant par l’usine ? Comment prendre conscience des nouveaux enjeux ?

Nous travaillons beaucoup sur les soft skills, puisqu’ils sont la clé du travailleur de demain, qui ne fera certainement pas 50 ans dans la même boîte. Pour les développer, nous créons de plus en plus de jeux qui permettent de les évoluer et de les faire progresser.

Comment forme-t-on les collaborateurs aux softs skills via un jeu en ligne ?

Frédéric Kuntzmann. La vérité c’est que nous ne sommes qu’au début. Nous travaillons avec le monde de la recherche sur le sujet, notamment l’ANRT (Association nationale de la recherche et de la technologie). Plus concrètement, nous ressentons les mutations du travail au travers des groupes que nous accompagnons, par exemple dans le domaine bancaire avec le passage du mode agence à la banque en ligne.

À ce jour, il n’y a pas vraiment de méthode universelle, nous procédons au cas par cas. Par exemple, il faut renforcer la confiance en soi, mais cela va dépendre du contexte, du métier, de l’entreprise. Dans le cas du management, il doit donner le droit à l’erreur. Une des solutions sera de former les managers à permettre aux collaborateurs de se tromper, afin que ces derniers osent et ainsi renforcent leur confiance en eux. Nous nous focalisons aussi sur des cas très précis, un public cible, nous nous basons sur des échantillons de personnes qui détiennent les soft skills recherchées, pour déduire la bonne marche à suivre.

Quelles leçons tirez-vous de l’évolution de la formation professionnelle numérisée ?

Frédéric Kuntzmann. Il y a des choses formidables de la formation présentielle à incorporer au digital learning, comme le partage d’expériences, d’anecdotes et la rencontre entre pairs. Nous voulons répliquer cela de manière numérisée. Prenons pour exemple Wikipedia qui est un outil puissant pour partager des informations, s’enrichir intellectuellement, se confronter et se poser des questions. Il n’est pas tant question de social learning, mais d’aventure commune via le jeu en réseau. Les concepts basés sur la collaboration fonctionnent très bien auprès de nos clients. Notre application qui piège les collaborateurs et leur demande de mettre leurs ressources en commun pour s’en sortir affiche un taux de connexion de 80 % des collaborateurs tous les matins. L’engouement vient du fait que les apprenants sont en compétition entre eux : en se piégeant, s’entraidant, ou en se lançant des défis, ils entrent vraiment dans un travail collaboratif.

L’autre point clé de la formation est la capacité d’adaptation du formateur. À l’écoute du niveau de ses apprenants, de leurs attentes et de leurs circonstances, il peut modifier la formation pour la rendre plus efficace. Il faut que la machine elle aussi sache s’adapter au niveau et à la façon d’apprendre de chacun. Évitons de standardiser l’e-learning, sur le fond et la forme. Comme il y a ceux qui apprennent au premier rang, qui ont envie d’aller plus loin et de participer. Puis il y a ceux qui ont besoin de liberté d’apprendre comme ils l’entendent, qui vont apprécier le côté ludique.

Enfin, notre équipe est extrêmement interdisciplinaire : ingénieurs pédagogiques, chercheurs en neurosciences, il y a des docteurs en lettres et des personnes qui viennent de l’univers du jeu vidéo. Nous évoluons toujours en équipe : cinq à dix personnes vont réfléchir sur un sujet. La meilleure recette que j’ai trouvée pour avancer est de travailler avec des personnes différentes, d’expériences différentes, qui vont réfléchir ensemble pour trouver la meilleure solution.

Comment mieux faire connaître les enjeux de la formation digitale ?

Frédéric Kuntzmann. Participer à des évènements comme le Genius Showcase IL&DI nous permet de faire comprendre notre métier à un plus grand nombre. Cela nous permet aussi de mieux connaître notre public. D’une part, l’environnement des start-ups dans le secteur de la formation est en pleine évolution et susceptible de changer rapidement. D’autre part, nous sommes très investis dans le partage. Nous proposons des ateliers et des conférences régulièrement auprès de salons, d’écoles et aussi chez nos clients. Enfin, nous préparons actuellement avec l’ANRT un rapport collaboratif qui sera présenté au ministère de l’Éducation sur l’apport de la gamification par le digital à l’école.