Pourquoi la crise sanitaire doit-elle nous intimer, selon vous, de revoir les flux humains, les flux économiques et industriels ?

C’est la leçon que la pandémie nous délivre. Nos sociétés ne sont pas résilientes, et la multiplicité des flux qui les composent les fragilise. Jusque-là, tout le monde pensait pouvoir régler les problèmes posés par la mondialisation par des processus mis à notre disposition par la mondialisation. « Si on est malade, on commandera en urgence des millions de masques en Chine ! », se disait-on. Or, toute la chaîne logistique s’est avérée extrêmement fragile. Notre interdépendance à l’échelle de la planète est morbide, dangereuse.

Parallèlement, c’est la masse des flux humains qui a rendu possible la dispersion planétaire si rapide du virus. Il faut que nous nous efforcions tous et toutes de penser plus court, plus local, pour devenir plus résilient·es.

Je pense qu’il faut accepter une contrainte sur ces flux. Ils sont les « cellules souches » de notre écosystème, c’est sur eux qu’il faut travailler. Est-il nécessaire, par exemple, de disposer de six vols par jour entre Paris et New York ? On en est arrivé à un moment où il faut se dire que ce modèle ne marche plus.

Comment modifier nos habitudes ?

C’est un gros sujet d’éducation. Il faut sortir du modèle façonné par Google et Amazon : vouloir tout, tout de suite. L’exemple est classique : faut-il continuer à manger des bananes ? Des fraises et des tomates en hiver ? Sous la contrainte, les gens se réveillent. Je connais de plus en plus de cadres qui remettent en question leurs réunions qui nécessitaient deux heures de vol, grâce à une habitude des visioconférences, désormais.

Ne craignez-vous pas qu'on vous qualifie d'Amish ?

Pas du tout, je suis à fond dans la technologie. Il ne faut pas en avoir peur. Pour paraphraser Einstein, le problème n’est pas aujourd’hui l’énergie atomique, c’est le cœur des hommes. Prenons la 5G, par exemple. Dans certains usages, il est nécessaire de la développer : des usages industriels qui permettent de réduire les flux, tous les usages de télémédecine. Il faut déployer la 5G où il y a une intensité d’utilisation des données. Et il faut vraiment déployer la 4G ailleurs, pour les usages domestiques.

Quelle place tient le numérique dans ces changements de paradigme ?

L’informatique, c’est un outil puissant de calcul et donc d’optimisation. Il faut utiliser l’outil à la fois pour trouver le moyen d’optimiser les processus et pour remplacer, quand c’est possible, certains flux.

Moins de déplacements physiques, cela implique l’augmentation des échanges numériques. Or le secteur du numérique représente une part de plus en plus importante de la consommation d’énergie et des émissions de gaz à effet de serre (GES). Comment résoudre cette contradiction ?

Je crois que le secteur du numérique va se décarboner beaucoup plus rapidement que tous les autres secteurs. L’optimisation se fait au niveau des différentes strates : au niveau des langages informatiques, des machines, des infrastructures. On voit déjà les progrès immenses d’optimisation de la consommation d’énergie dans les data centers, par exemple. Les data centers d’OVH sont associés à des éoliennes pour réduire leur impact carbone, Microsoft teste les clouds immergés en mer.

Le véritable défi, aujourd’hui, c’est le renouvellement des appareils, qui reste le poste le plus consommateur d’énergie et le plus émetteur de gaz à effets de serre dans le numérique. Là aussi, il faut entamer un énorme travail de pédagogie.

Quel est l’enseignement délivré aux étudiant·es des écoles informatiques sur le sujet ?

À Epitech, on aborde ce sujet depuis 2014, un an après ma prise de direction de l’école. Je ne crois pas en la disruption dans tous les domaines. Dans notre école, on a pris le contre-pied de la start-up nation pour ne pas promouvoir les projets avec un haut potentiel technologique mais sans objet social. L’innovation sans le progrès n’a pas de sens. Nous confrontons les étudiant·es, en troisième année, aux défis environnementaux et sociétaux de la planète. Pour les inciter à trouver des solutions, parce que les solutions viendront aussi des informaticien·es. Au fil du temps, nous voyons les projets de nos étudiant·es changer. Et nous en sommes fiers.

À propos de notre partenaire

Epitech est l’école de l’expertise informatique. Depuis plus de vingt ans, elle permet de transformer une passion pour l’informatique en une expertise. Les formations reposent sur une pédagogique active qui « met l’accent sur trois valeurs essentielles : l’excellence, le courage et la solidarité ».