[Article sonore] Sciences participatives : la connaissance pair à pair
Les projets de sciences participatives essaiment un peu partout sur le territoire français. Basés sur la curiosité et le volontariat, ils permettent aux chercheur·euse·s d’accumuler de précieuses données et aux participant·e·s de renouer avec la démarche scientifique.
Depuis une quinzaine d’années, les sciences participatives sont en plein essor. Collégien·ne·s qui mesurent les quantités de microplastique en bord de Saône, participant·es à l’opération nationale de comptage des oiseaux ou plaisancier·ère·s effectuant des prélèvements de plancton depuis leur bateau en Bretagne… Voilà le genre d’histoires fréquemment mises en avant par la presse locale. Des initiatives qui ont toutes en commun d’être des projets de sciences participatives puisqu’’elles « associent des acteurs qui ne sont pas des scientifiques professionnels à la production de connaissances scientifiques », explique Emmanuelle Gonzalez, directrice adjointe sciences participatives au Muséum national d’Histoire naturelle (MNHN).
Des pratiques anciennes remises au goût du jour
Selon François Houllier et Jean-Baptiste Merilhou-Goudard, auteurs du rapport « Les sciences participatives en France : état des lieux, bonnes pratiques et recommandation », les origines des sciences participatives remontent aux premières grandes traversées maritimes, lorsque les membres d’équipage rapportaient des territoires d’outre-mer des échantillons de faune et de flore. Au XIXe siècle, le MNHN formalise cette démarche en remettant aux voyageurs partant dans les colonies un livret afin de les aider à identifier des espèces de plantes ou d’animaux.
Mais c’est au début du XXe siècle que le recours aux sciences participatives se systématise. Durant la période de Noël, aux Etats-Unis, le Christmas Bird Count détourne la traditionnelle chasse aux oiseaux en une vaste opération de recensement dont François Houllier et Jean-Baptise Merilhou-Goudard estiment qu’elle a donné lieu à 350 publications scientifiques en un siècle. En France, le programme Vigie-Nature, lancé en 1989 par le MNHN, a mis à disposition une vingtaine d’observatoires pour que le grand public puisse participer au suivi de certaines espèces.
La participation citoyenne à la recherche s’est depuis étendue à de multiples champs de recherche, comme l’astronomie ou la santé. Depuis les années 2000, les articles scientifiques à son sujet ont suivi une courbe exponentielle. Selon Emmanuelle Gonzalez, 20 000 citoyen·ne·s français·e·s s’inscrivent ainsi chaque année à des programmes de science participative.
Des communautés au service de la science
Les possibilités offertes par le numérique expliquent en partie ce succès. De la plateforme de classification de galaxies GalaxyZoo, au jeu vidéo expérimental Foldit – dans lequel des joueurs ont trouvé en trois semaines un résultat sur le repliement des protéines sur lequel butaient les chercheur·se·s depuis dix ans – les données remontées par de simples amateur·rice·s rendent bien des services à la communauté scientifique.
Au sein du réseau global Sensor.Community, des bénévoles récoltent ainsi des données environnementales sur les particules fines ou le bruit via des détecteurs qu’ils peuvent fabriquer eux-mêmes grâce à des tutoriels disponibles en ligne. Sensor.Community revendique le déploiement de 14 334 détecteurs dans 71 pays ayant collecté plus de 16 milliards de données. Une manière de favoriser « la curiosité pour la nature de manière authentique, joyeuse et positive », peut-on lire sur le site du projet.
« Les connaissances des participant·e·s égalent parfois celles des entomologues »
Mais, à trop se fier à des personnes inexpérimentées, n’y a-t-il pas un risque que la science avance sur des chemins erronés ? « Aucun », selon Louis Henry, responsable territoires et ville durable à l’Institut pour la recherche de la Caisse des dépôts. « L’écueil est limité par le fait que l’on fait partie d’une communauté. Plus on est nombreux moins on a de chance de se tromper et de s’enfermer dans des erreurs » analyse-t-il, mentionnant le système de validation par pairs mis en place par le dispositif de suivi photographique des insectes pollinisateurs (Spipoll).
Lancé en 2008 par le MNHN et l’Office pour les insectes et leur environnement, Spipoll est un programme de science participative dont le protocole consiste à photographier des insectes sur une plante pendant vingt minutes puis à les identifier sur un forum en ligne en comparant l’insecte photographié à 630 taxons. Pour être acceptée, la réponse doit être validée par au moins trois autres volontaires. « Grâce à ces échanges, les participant·e·s montent très vite en compétence », s’enthousiasme Emmanuelle Gonzalez.
Selon elle, « 94% d’entre eux estiment que leurs connaissances ont augmenté et, après dix ans d’existence du programme, certains des participants parmi les plus anciens ont des connaissances qui égalent celles des entomologues ». La force de Spipoll consiste ainsi à créer l’expertise scientifique en remplaçant la parole des expert·e·s par celles, multiples, d’une communauté auto-apprenante.
Changer les regards et les pratiques sur l’environnement
Une transformation des esprits par la pratique qui vaut bien des discours théoriques. Car, selon la saillie ironique de Descartes, si « le bon sens est la chose la mieux partagée du monde » comment expliquer « qu’avec les connaissances dont nous disposons aujourd’hui nous puissions avoir de telles divergences dans l’interprétation des enjeux de notre siècle ? », s’interroge Louis Henry. La crise de la biodiversité, par exemple, est un sujet relativement peu connu du grand public, bien que le baromètre 2020 de l’ADEME indique que l’environnement est le deuxième sujet de préoccupation des Français·es.
L’intérêt des sciences participatives se mesure donc à l’aune des changements concrets qu’elles activent chez les participants. « Beaucoup de personnes nous ont confié que l’observation des insectes avait fini par leur faire abandonner tout recours aux pesticides parce qu’elles comprenaient qu’il était anormal de ne pas voir d’abeilles ou de papillons dans leur jardin », souligne Emmanuelle Gonzalez.
Du ressenti à la citoyenneté
Un enjeu a plus de chance d’être compris lorsqu’il s’articule à une expérience vécue par les citoyens et citoyennes. En lien avec le programme européen ISEED (Inclusive Science & European Democracies), et les villes de Libourne (33) et Mélesse (35), le MNHN, par le biais de son service Mosaic, mène une expérimentation citoyenne sur la trame noire, terme technique désignant l’extinction des lumières dans l’espace public. Les volontaires se soumettent à un protocole consistant à expérimenter en situation réelle leurs propres émotions face à l’obscurité. Une plateforme numérique est à disposition pour recueillir le ressenti de chacun·e ainsi que les propositions citoyennes sur les modalités de mise en œuvre de la trame noire qui seront prises en compte par la mairie.
Pour Emmanuelle Gonzalez, « expérimenter par soi-même en suivant un protocole scientifique est une manière de sortir des réponses binaires aux problèmes et de retisser des liens de confiance entre les citoyens, la classe politique et les scientifiques ». Un constat que partage Louis Henry : « Le modèle décisionnel « top-down » a fait son temps. Ce n’est qu’une fois que les habitants ont expérimenté des situations, qu’ils se sont documentés, et qu’ils ont formulé des propositions, que les décisions les plus intelligentes pour la collectivité voient le jour ».
Bon ou mauvais doute : des cartes entre les mains des décideur·euse·s
Cette montée en compétence des citoyen·ne·s capables de donner leur opinion avisée sur des sujets complexes est un rempart aux canaux de désinformation qui ont pullulé sur les réseaux sociaux au cours de la dernière décennie. En 2018, quelques mois avant la promulgation de la loi contre la manipulation de l’information, aussi appelée loi « infox », Jean-Gabriel Ganascia, professeur d’informatique et président du comité d’éthique du CNRS, rappelait dans les colonnes du Monde que la meilleure manière de lutter contre « les marchands de doute » est d’éduquer les citoyens à la démarche scientifique. Construire des connaissances pour prendre conscience, est-ce que ce n’est pas la meilleure manière de rétablir des relations de confiance ?
Reste à savoir si les décideur·eus·es politiques sont prêt·e·s à suivre les conclusions tirées lors des consultations citoyennes lorsque les résultats de celles-ci témoignent d’un niveau d’exigences élevé. Louis Henry rappelle ainsi comment l’expérience de la Convention Citoyenne pour le Climat a « mis le monde politique dans l’embarras » en le confrontant « aux propositions très précises formulées par les 150 citoyens tirés au sort ». Emmanuel Macron s’était engagé à reprendre « sans filtre » les 149 mesures publiées par la Convention. Pour l’heure, 87 mesures ont été « totalement ou partiellement » mises en œuvre par le Gouvernement.
Mais l’expérience aura au moins permis de mobiliser sur le long-terme les membres de la Convention Citoyenne pour le Climat. A l’occasion de la COP 26, 51 d’entre eux ont cosigné une tribune appelant les dirigeants présents à Glasgow à « inclure la parole citoyenne au plus haut niveau ». Comme quoi, parfois, il est bon d’aller chercher la petite bête.
Envie d’en savoir plus ? Rdv sur le blog de la Caisse des Dépôts.