Les Hyènes

11/11/2032, depuis ce logement collectif et associatif qui a bien voulu de moi.

Chères pages blanches,

Ma psy m’a encouragée à écrire sur du papier plutôt que sur mon corps. Elle n’a peut-être pas tort, il n’y a plus tellement de place de toute façon pour creuser sur ma peau à vif ces entames qu’ils appellent scarifications ou encore automutilations. Les gens ont du mal à comprendre comme ça me soulage de transformer ma douleur morale en douleur physique. Je géolocalise ma petitesse ainsi. C’est presque jubilatoire de chasser ces pensées morbides et d’avoir juste mal sur ces sillons de peau que je choisis arbitrairement. Ouais je sais… C’est crado. Ces boursouflures. Ces égratignures. Ces plaies aux contours inquiétants. Il paraît que les cuisses, les seins et le ventre, ce serait un peu genre ma féminité ou même en lien avec les agressions sexuelles que j’ai subies. J’ai encore un peu du mal à le dire. J’ai besoin d’une reconfig’, d’une défragmentation de disque dur. Un corps machine, ce serait peut-être plus simple au fond. Il y a des gens qui sont à fond là-dedans, ils essaient de se dégager de la pesanteur de notre chair. C’est pas con comme théorie. Ces traces sont peut-être, en effet, une part de mon histoire en bandoulière, et ces entames ne sont pas sans être connectées à des événements traversés non sans heurts. Il y a des mecs en prison qui se font tatouer leurs forfaits comme sur des parchemins. C’est un peu leur fierté. Leur enveloppe périssable conserve les secrets de leurs exactions. Mon parchemin à moi n’est que déchirures. C’est même pas esthétique. Ni cartographie ni continuité logique. Du découpage de classes maternelles. Des confettis et des farandoles loin des comptines et plus proches des heures de colle des punis.