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Devenue symbole de la malbouffe et de la déforestation, l’huile de palme est un produit controversé et incontournable dans le paysage agricole et économique mondial. Sauf si l’augmentation des prix liée à la pandémie de Covid-19 changeait la donne, elle domine le marché mondial des huiles végétales. Face aux enjeux globaux d’alimentation et de transition énergétique, il importe d’aborder le débat avec sérénité et d’acquérir une information plus éclairée sur les apports et les limites de la production d’huile de palme.

Une huile rentable, de qualité, facile à utiliser

Le palmier à huile couvre 7% des terres agricoles utilisées pour la production d’huile végétale, et représente 40 % de l’offre mondiale. Son rendement est six à dix fois supérieur aux huiles végétales comparables. En conséquence, son huile est bien moins chère : 20% de moins que son premier concurrent, l’huile de soja, par exemple, et ce malgré l’emploi massif de main d’œuvre pour la récolte.

L’huile de palme est une huile polyvalente naturellement solide à température ambiante, qui n’a pas besoin d’être durcie artificiellement par hydrogénation, procédé utilisé pour toutes les autres huiles végétales et qui crée des acides gras trans, nocifs pour la santé. Sa résistance à l’oxydation et au traitement thermique en fait un atout pour la conservation.

C’est pourquoi elle est utilisée majoritairement par l’industrie alimentaire, pour plus des deux tiers de sa production. Viennent ensuite l’oléochimie, notamment pour les cosmétiques, et enfin les biocarburants.

Un atout pour le développement des pays producteurs

L’huile de palme est produite à 85% dans deux pays d’Asie du Sud-Est, la Malaisie et l’Indonésie et constitue un élément majeur de leur développement économique.
Ainsi, en Malaisie, l’industrie de l’huile de palme a contribué à hauteur de 4 % au PIB du pays en 2017. Parce que le palmier à huile peut se cultiver sur des parcelles de taille variable, il a permis l’émergence d’une agriculture de petits exploitants qui ont vu ainsi leurs revenus augmenter et se stabiliser et une classe moyenne émerger. En Asie du Sud Est, ce sont 40 % de la production, et au Bénin 80 %, qui proviennent de petites exploitations.

Côté consommateurs, les premiers sont l’Indonésie, l’Inde, l’Union Européenne, la Chine et le Pakistan. En Asie, l’huile de palme est principalement utilisée comme huile de cuisson. La croissance démographique, l’urbanisation croissante et l’augmentation du niveau de vie dans le monde expliquent que la demande en huile végétale alimentaire et en particulier en huile de palme, soit à la hausse.

Un produit en accusation

Ces dernières années, l’huile de palme s’est retrouvée cependant au cœur de différentes polémiques, principalement en Europe.  Elle est montrée du doigt depuis les années 1990 pour son mauvais impact sanitaire, désignée comme responsable de maladies cardio-vasculaires. Elle se retrouve plus généralement au cœur des débats sur la malbouffe, l’alimentation industrielle trop riche en gras et en sucres. Aujourd’hui, le logo « sans huile de palme », apposé sur les produits de consommation courante, est devenu un argument marketing.

Autre reproche : son impact sur l’environnement. La culture du palmier à huile ayant conduit à la déforestation dans certaines régions, la filière de l’huile de palme est accusée de renforcer le changement climatique et d’éroder un peu plus la biodiversité des zones tropicales où pousse le palmier.

Enfin, l’impact social de la filière est souvent dénoncé. L’extension des cultures, qui serait cause du déplacement forcé de populations autochtones, et les conditions de travail déplorables dans les grandes exploitations et plantations : travail des enfants, exposition aux pesticides, travail forcé….

Dépasser les polémiques

La stratégie de l’électrochoc choisie pour mobiliser l’opinion rend rarement compte de l’inévitable complexité liée à l’analyse de tout sujet traitant de la question écologique.

Concernant la déforestation : alors que certains articles pointent l’huile de palme comme responsable de 40 % de la déforestation mondiale, les chercheurs ont montré que, sur la période 1990-2008, le chiffre réel s’élevait à moins de 1% !

En Malaisie, le phénomène de déforestation s’inscrit dans une longue histoire, celle des plantations d’hévéas et de l’exploitation des mines d’étain au XIXème siècle pendant la colonisation anglaise. Aujourd’hui il marque le pas et la forêt couvre actuellement 56% de la surface du pays, bien plus que dans les pays européens.
En Indonésie, une étude scientifique montre que, sous certaines conditions, la culture du palmier à huile sur des terres dégradées à proximité de forêts tropicales pourrait avoir un aspect bénéfique pour la biodiversité.

Quant à la question sanitaire, à ce jour, aucune étude ne permet de conclure à un problème sanitaire particulier lié à l’huile de palme (dans la limite d’une consommation non excessive, comme pour toutes les sources de lipides). En revanche, sa culture nécessite peu de pesticides :  400 grammes de pesticides par hectare et par an, contre 5,8 kg pour le soja par exemple.

Une demande croissante...

La demande alimentaire, qui représente 80% du marché aujourd’hui, est en croissance, en particulier dans les pays qui se sont développés ces dernières décennies. Cette croissance est corrélée à l’augmentation de la classe moyenne, de l’urbanisation et de l’enrichissement de la population.

Pour l’oléochimie, qui représente 15% du marché, l’huile de palme génère une très forte valeur ajoutée, par rapport à l’huile brute, en fonction notamment de son degré de raffinement. Evidemment, les pays qui en bénéficient sont les pays importateurs d’huile, et non les pays producteurs.

Les biocarburants en question

La demande en bio carburants croît rapidement, en raison du soutien aux énergies renouvelables, ce qui représente une pression supplémentaire sur la culture du palmier à huile. L’huile de palme, par son faible coût devient une matière première très convoitée pour la production de bio carburants.

Et c’est précisément l’augmentation de la demande pour les biocarburants qui a nécessité une extension des surfaces agricoles pour la culture du palmier, au détriment de la forêt. Le report des besoins en huile alimentaire sur d’autres cultures plus consommatrices en terres et en eau poserait lui aussi d’importants problèmes écologiques.

Autant de réalités qui font réfléchir à deux choses. D’abord les biocarburants comme solution aux problèmes environnementaux : si leur bilan carbone est faible, leurs effets indirects sur la biodiversité et les besoins alimentaires doivent être considérés. Ensuite, la stigmatisation ou l’interdiction de l’huile de palme pourrait engendrer un impact globalement négatif si la demande d’huiles végétales devait être assurée par d’autres cultures.

Pour une régulation et une meilleure gouvernance

La régulation du marché de l’huile de palme s’opère d’abord au niveau national, notamment pour soutenir le développement d’agro-systèmes locaux, pour permettre l’émergence et le maintien de petits producteurs. Ensuite, au niveau international, des tentatives de régulation à l’instar de la table ronde sur l’huile de palme durable (RSPO), ont permis d’aboutir à l’établissement de standards de durabilité fondés sur la définition de principes, de critères et d’indicateurs.

Mais cette démarche pêche notamment par son défaut d’évaluation, à quoi il faudra remédier. La nécessité de recueillir le « consentement libre et éclairé des populations », pour les changements de normes, est en train d’émerger. Afin d’obtenir une huile de palme vraiment durable, il serait in fine indispensable de mettre en place une chaîne de valeur transparente et lisible prenant en compte de manière non négociable les critères de respect de la biodiversité, de respect des droits sociaux, de changement climatique.

Enfin, un des leviers de régulation se situe du côté des pays consommateurs, qui pourraient mettre en place une fiscalité différenciée selon l’usage de l’huile de palme, en comparant, dans chaque domaine d’utilisation, ses apports à ceux des autres huiles végétales.

 

Article réalisé avec l’appui du rapport « Huile de palme, Un regard de non-experts » Promotion Elinor Ostrom, Cycle national 2018 – 2019, de l’IHEST.