Pourquoi est-ce important de diffuser les agissements de plateformes comme YouTube et de décrypter les fake news ?

Aude Favre. Il me paraissait important d’expliquer comment réagissent les plateformes par rapport à l’information parce que le public des jeunes que je cible n’en a pas conscience. Aujourd’hui, on n’a plus besoin de débourser quoi que ce soit pour accéder à l’information, et beaucoup pensent qu’elle fait désormais partie du bien commun, qu’elle tombe du ciel. J’aime décrire les fake news comme un produit marketing, avec des punchlines de type « ce que vous ne saurez pas », dont la tactique consiste à bombarder d’arguments bidon. Leur quantité fait qu’on se dit qu’il doit y avoir une part de vérité, tout comme l’emballage marketing finit par convaincre du produit.

« Quand tout est gratuit, c’est toi le produit, » je trouve cette célèbre phrase très vraie. Quand le temps d’attention est visé et monétisé, il est mis en danger. C’est très important de montrer le mécanisme commercial derrière cette gratuité. Le cas de YouTube est particulier, car la plupart des jeunes l’utilisent comme un moteur de recherche, donc vraiment tout le temps. Or, la plateforme pour certaines raisons fait la part belle aux contenus complotistes. C’est en maintenant le public scotché qu’elle génère le plus de revenus. Je synthétise, mais la réalité économique est bel et bien là. Les contenus qui sèment le doute, qui sont fantasques et jouent sur l’imaginaire, la peur et le clash, sont de fait les plus poussés par l’algorithme de YouTube. Guillaume Chaslot (ancien employé de YouTube et fondateur d’AlgoTransparency, ndlr) m’expliquait que les jeunes ne croient pas forcément d’eux-mêmes ces théories, c’est la plateforme qui les a hameçonnés pour qu’ils y passent le plus de temps possible.

Pourtant, votre public se trouve lui-même sur YouTube. Comment gérez-vous cette contradiction ?

Cela ne me pose pas de problèmes puisque je ne le vois pas comme une contradiction. On a le droit d’être sur YouTube et de le critiquer en retour, on aurait tort de s’en priver ! Effectivement, cela ne me met sans doute pas dans les bonnes grâces de la plateforme d’une manière ou d’une autre. Si c’est le cas tant pis, je n’y vois pas d’inconvénients personnellement.

Vous êtes à l’initiative du projet associatif FakeOff qui sensibilise les collégiens et lycéens aux fake news. Comment leur apprenez-vous à se prémunir de la manipulation en ligne ?

Aude Favre. Avec cette association, que j’ai co-fondée avec des amis journalistes, nous nous mettons à la place des jeunes. Ce sont eux qui nous expliquent comment ils s’informent. Puis nous décortiquons ces informations avec eux et leur demandons s’ils y croient vraiment. Nous leur expliquons comment les plateformes fonctionnent, mais nous faisons aussi appel à leur instinct. Cela pose aussi la question des biais cognitifs, quand ils ont envie de partager, de cliquer, ce sont leurs tripes qui prennent le pas sur leur cerveau.

On leur apprend que dans le journalisme, il y a un principe fondamental qui est celui du débat contradictoire : nous ne pouvons pas sortir un reportage complet en nous appuyant sur un seul son de cloche. Il nous faut consulter la personne sur qui portent les soupçons et lui demander son droit de réponse, chose que ne font jamais ceux qui produisent les informations que les jeunes consomment sur YouTube. De manière générale, il est important de se poser des questions clés : « qui te parle et quelle preuve a-t-il ? Et ces preuves, sont-elles véritables ? »

En tant que journaliste, quelles leçons retenez-vous de votre expérience sur YouTube ?

Aude Favre. Je m’aperçois que faire du journalisme sur YouTube est très différent, il y a principalement une surexposition pour le meilleur ou pour le pire. Notre travail est impactant, les enquêtes sont vues, partagées et il y a beaucoup de retours positifs. L’envers du décor, c’est qu’après chaque vidéo nous recevons beaucoup de haine, de troll et il y en a de plus en plus. Quelque part, il y a cette idée que je ne suis qu’un personnage pour ces internautes. Le fait d’être exposée signifie aussi que j’ai encore moins le droit à l’erreur que dans le contexte d’un reportage « normal ». On marche sur un fil tendu, mais je le fais parce que je sais que cela a de l’impact.

Suite à un reportage sur la chaîne YouTube Lama Fâché, qui a suscité des réactions vives, vous avez vécu une véritable situation de crise. Comment gérez-vous cela vis-à-vis des abonnés qui vous suivent ?

Aude Favre. Quand on fait son travail très consciencieusement et de tout son cœur, il est douloureux de recevoir des commentaires violents. Je suis quelqu’un qui évite naturellement les réseaux sociaux, et il est vrai que dans cette situation, j’étais dans la fuite.

En revanche, j’ai compris que ceux qui émettaient ces critiques n’avaient pas vu toute l’énergie qui avait été mise dans la préparation de la vidéo. J’ai pris cela comme une leçon pour l’avenir, de montrer davantage tout le véritable travail de journalisme fait en amont de la vidéo.

Enfin, ne l’oublions pas : les journalistes sont les seuls pourvoyeurs d’infos qui ont une responsabilité morale très forte sur ce qu’ils produisent. Celle-ci les engage sur leur travail et notamment leurs revenus. Un.e journaliste n’a aucun intérêt à produire de la fausse information. Bien au contraire, on est promu quand on révèle un scoop de qualité. Il est certain qu’il y a des erreurs et un manque de déontologie parfois, mais c’est aux journalistes qu’il faut faire confiance, tout simplement parce qu’ils ont le plus à perdre des fake news.