Mirova et Sunfunder sont deux sociétés de gestion spécialisées dans l’investissement responsable et le financement du développement durable. En juin 2022, la première, une filiale de Natixis spécialisée dans le financement du développement durable, a fait l’acquisition de la seconde, pionnière dans la transition énergétique des marchés émergents en Afrique et en Asie. Pour Raphaël Lance, directeur des fonds de la transition énergétique chez Mirova, et Audrey Desiderato, co-fondatrice de Sunfunder, la transition vers la finance verte doit s’accélérer.

Quelle a été la genèse du rapprochement de vos deux sociétés ?

Raphaël Lance. Après dix ans d’existence, nous gérons 27 milliards d’euros dont 3.5 milliards sont des actifs non cotés destinés à financer la transition énergétique et le développement du capital naturel : régénération des terres dégradées, protection des océans ou économie carbone. Notre ambition est de devenir leader mondial des investissements dans ces domaines. Pour ce faire, nous avons besoin de voir plus loin que l’Europe, où se concentrent la grande majorité de notre activité, et de nous tourner vers les marchés émergents. D’où l’intérêt que nous portons à Sunfunder, dont l’implantation sur ces marchés est très forte.

Audrey Desiderato. A ses débuts en 2012, Sunfunder fonctionnait comme une plateforme de crowdfunding destinée à financer l’accès à de l’énergie propre aux populations d’Afrique subsaharienne et d’Asie. Depuis 2013 nous sommes basés en Afrique, notre siège social étant à Naïrobi, afin d’être au plus près des innovations et bâtir des relations avec les acteurs de terrain. Nos valeurs sont restées les mêmes mais notre modèle a évolué à mesure que nous prenions conscience de l’urgence climatique. Nous avons cherché à nous adosser à un partenaire financier solide pour accroître nos activités et nos investissements.

Quels types de projets Mirova-Sunfunder va pouvoir financer ?

Audrey Desiderato. Nous allons poursuivre le financement des systèmes électriques autonomes hors réseaux, comme les kits solaires et les microgrid, dont le marché est en plein essor. D’après la banque mondiale, 660 millions de personnes, dont une grande majorité d’Africains, n’auront toujours pas accès à l’électricité d’ici 2030. Nous travaillons avec de jeunes entreprises qui installent et développent des projets d’énergie décentralisée et de paiement par crédit pour pallier l’absence de réseaux électriques nationaux. Nous développons aussi des projets commerciaux et industriels pour des bâtiments hospitaliers, agricoles ou industriels ayant besoin d’un accès stable à l’électricité.

Raphaël Lance. Comme Mirova a l’habitude de gérer des fonds régulés par l’Autorité des marchés financiers, Sunfunder va désormais avoir accès à des marchés plus larges. Le premier objectif est donc de lancer le fonds Gigaton, doté de 500 millions de dollars, pour financer l’électrification autour de différentes stratégies : systèmes électriques hors réseaux, agro énergie et grandes toitures industrielles et commerciales. Le tout dans une optique d’expansion géographique pour couvrir l’Afrique, l’Asie et, dans une moindre mesure l’Amérique Latine. La deuxième grande stratégie consiste en un meilleur déploiement des fonds Mirova de capital naturel en nous appuyant sur les équipes de Sunfunder présentes directement sur les terrains concernés.

Raphaël Lance, directeur des fonds de la transition énergétique chez Mirova, © BENJAMIN BOCCAS

Quels sont les spécificités de ces marchés émergents ?

Audrey Desiderato. D’une part l’instabilité politique d’un certain nombre de pays d’Afrique subsaharienne présente des risques aux yeux des investisseurs. D’autre part, le business model des entreprises de la transition énergétique ne sont pas encore fixés. Pour ces deux raisons, les véhicules d’investissement que nous gérons sont de nature blended finance (financement publique-privé), ce qui permet de combiner des tranches de risques et de rendements différents. On fait ainsi appel à des investisseurs institutionnels, comme des agences publiques de développement ou des fondations, qui rassurent et protègent les investisseurs privés.

Raphaël Lance. Depuis 25 ans, la croissance démographique et économique des pays asiatiques ont accru leurs besoins en énergie plus rapidement qu’en Afrique. C’est donc un marché plus dynamique, plus compétitif, qui attire depuis plusieurs années les fonds d’investissement.

Les opérations de greenwashing sont monnaie courante dans les milieux financiers. Quel poids occupent les critères extra-financiers dans la balance de la finance verte ?

Audrey Desiderato. Le credo de Sunfunder a toujours été « l’impact en premier ». Comme nous déployons des fonds de dette privée, nous cherchons nous-même les projets puis nous analysons leurs critères financiers mais aussi sociaux, environnementaux et de responsabilité. Notre philosophie, partagée par Mirova mais pas par l’ensemble des acteurs financiers, consiste à prendre d’abord en compte l’impact d’un investissement sur la planète grâce à notre expertise de terrain.

Raphaël Lance. Il ne faut pas opposer prise en compte des enjeux RSE et rendements financiers. D’une part parce que si vous ne prenez pas en compte les enjeux climatiques ou sociaux, votre investissement risque de ne pas être pérenne et d’être rattrapé par le problème de l’acceptabilité. D’autre part parce qu’il y a selon nous une corrélation positive entre rendement et enjeux RSE. Aujourd’hui, les investissements européens dans l’énergie qui se portent le mieux sont ceux qui ciblent les énergies renouvelables. Là où nous sommes inquiets, c’est qu’il existe une pression du régulateur, des actionnaires et des clients pour faire du développement durable, poussant certains gestionnaires au greenwashing. Pas nous. Au niveau européen, le Règlement sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers (Sustainable Finance Disclosure Regulation – SFDR) permet de classer les actifs en fonction de leurs critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance). Suivant cette grille, les actifs gérés par Mirova et Sunfunder sont tous identifiés comme des fonds à impact.

Audrey Desiderato, co-fondatrice de Sunfunder

Les établissements financiers sont souvent épinglés par les ONG pour leur manque de politique claire d’exclusion des énergies fossiles de leurs portefeuilles d’investissement. Quel impact cela peut-il avoir sur les orientations de Mirova, filiale de Natixis ?

Raphaël Lance. Le modèle de Natixis est multi-affiliés : chaque affilié est une société de gestion indépendante qui est maître de sa stratégie de gestion de portefeuille. Mirova est donc autonome mais n’a pas vocation à remettre en cause la stratégie de son actionnaire. Historiquement Natixis a été un acteur important du financement de projets dans l’énergie, un secteur où il y a toujours un peu d’inertie. Même lorsqu’on prend un chemin d’exclusion de certaines activités, il est difficile de tout arrêter du jour au lendemain.

Quel regard portez-vous sur l’avenir de la transition énergétique ?

Audrey Desiderato. Le grand enjeu dans les pays émergents c’est de bâtir une équipe sur le terrain pour trouver les bons projets. C’est la clef du succès des investissements à impact.

Raphaël Lance. La transition énergétique a gagné la bataille de l’attractivité et de la compétitivité. La croissance de Mirova montre que la prise en compte des éléments sociaux et environnementaux fait son chemin chez les investisseurs. Pourtant, le phénomène ne va pas assez vite et la maison continue de brûler. Le Cac 40 n’est toujours pas sur un scénario à 2°C alors qu’il faudrait investir dans la transition énergétique pour tenir les engagements de réduction de gaz à effet de serre.