Pas vraiment. 2020, l’année pas comme les autres, n’en reste pas moins la plus chaude jamais enregistrée en France. Quant à la pollution atmosphérique, elle est déjà revenue à son niveau initial. Une responsabilité portée pour partie par l’activité numérique des data centers, ces centres névralgiques de nos vies connectées, et par la fabrication de nos téléphones intelligents qui nécessitent l’extraction minière de métaux rares dans des conditions difficiles et néfastes pour l’environnement. Si elle représente actuellement 4 % des émissions de gaz à effet de serre sur une année, la pollution numérique pourrait, selon The Shift Project, doubler d’ici à 2025, et devenir supérieure à la pollution générée par les voitures. Une telle croissance est, disons-le, clairement alarmante, et ses conséquences pourraient bien être délétères à court terme.

La question écologique du numérique devient dès lors fondamentale, vitale, nécessaire. Un an après la parution de notre premier numéro, il est donc temps de vous embarquer dans l’exploration d’un numérique plus vert.

Un long et périlleux voyage

Si elle fut un temps ignorée, la pollution numérique n’est aujourd’hui plus passée sous silence. Sujet brûlant cristallisant toutes les inquiétudes, la controverse autour de la 5G est la preuve d’une vitalité démocratique et d’une maturité sur la question de la pollution. Elle est également révélatrice d’un paradoxe : plus performante d’un point de vue énergétique, la 5G serait moins polluante. Or étant plus performante, elle pourrait accélérer nos usages, et par là même polluer davantage. Accepter de débattre, c’est donc accepter la complexité d’un sujet et nous projeter dans un temps long, c’est nous sortir de l’immédiateté et de l’exaltation technologique. C’est prendre conscience de notre impact à moyen et long termes. C’est opter pour l’« overview effect », cette expérience que font les astronautes lorsqu’ils visualisent la Terre dans l’immensité de l’espace, dont nous parlait Claudie Haigneré dans notre numéro 3 Va, vis et apprends.

Ce paradoxe est au cœur de toutes les technologies : le numérique pollue, mais le numérique fait aussi partie des solutions pour moins polluer. Des initiatives se développent afin de permettre d’optimiser nos consommations énergétiques, c’est même le rôle de certains algorithmes d’IA (intelligence artificielle), dans la smartcity par exemple. C’est bien là ce qu’avait identifié le philosophe Bernard Stiegler, récemment disparu, qui présentait les technologies comme un pharmakon, concept emprunté à Platon qui signifie en grec ancien tout à la fois le poison et le remède. Ce paradoxe est-il pour autant insoluble ? Doit-on en rester là ? Certainement pas. Le philosophe, qui défendait une philosophie de l’action, nous enjoignait au contraire à faire en sorte que le remède devienne supérieur au poison.

Le sens du progrès

C’est là que la question écologique confine aux frontières de la philosophie. Que voulons-nous pour notre avenir : toujours plus de technologies, plus rapides, plus performantes, plus nombreuses ? Cet avenir n’est pas souhaitable, puisqu’il met en péril notre habitat. Ne faut-il donc pas questionner notre vision du progrès ? Bruno Latour s’exprimait dernièrement dans une tribune du Monde au sujet de la 5G (encore !), en nous invitant à sortir de la voie unique. « Si le confinement a eu un effet, c’est de nous déconfiner tout à fait de cette idée d’une voie unique vers le progrès. Progresser oui, mais dans toutes les directions à la fois. Pas dans une seule. » Le philosophe casse dès lors le mythe de la course technologique. Le sens que nous donnons au progrès ne peut faire l’impasse sur les lumières du passé. « Pouvoir revenir en arrière est essentiel pour profiter de l’expérience et changer de trajectoire. Comment le faire si ne plus foncer en avant est aussitôt compris comme une insupportable régression ? Faudrait-il cesser de vouloir apprendre ? Faudrait-il s’aveugler volontairement ? » Les citoyens sont de plus en plus nombreux à s’inscrire dans ce sillage. En quête de sens, ils culpabilisent et agissent, partagés entre confort et envie de s’engager.

Alors, comment résoudre l’équation ? En élaborant des pistes de réflexion pour que le numérique ne soit pas cette nouvelle industrie qui fait fi des erreurs du passé et fonce tête baissée.

Chut ! a un an

Ces solutions pour un numérique plus vert émergent, nous vous les présentons dans ce numéro 4. Vous retrouverez également d’autres points de vue présentant des technologies qui ont du sens, utiles, nécessaires qui œuvrent pour le bien commun. Cela commence par le parcours saisissant de Diariata N’Daye, la créatrice de l’application App-Elles qui lutte contre les violences faites aux femmes. On poursuit avec le combat féministe du collectif espagnol GynePunk. Comme beaucoup de secteurs à enjeux économiques forts, le numérique manque de diversité. Nous sommes allées à la rencontre de ces entrepreneur·es que l’on voit encore trop peu dans les médias. Puissent-ils et elles devenir des rôles modèles et inspirer des carrières. Le numérique de demain a besoin de cette vision plurielle. Vous avez également partagé avec nous vos photos de vies confinées, un grand merci à vous ! Retrouvez-les dans notre portfolio !

Chut ! fête sa première bougie, engagé comme jamais à questionner nos usages dans l’univers du numérique. Après quatre numéros, nous pouvons vous le dire en toute franchise : créer un magazine papier, et surtout le faire vivre dans la durée, est un sacré défi. À vous qui nous lisez, à vous qui nous suivez depuis le début ou qui avez rejoint l’aventure en cours de route, vous n’imaginez pas combien votre soutien nous est précieux, vous n’imaginez pas combien votre soutien nous est précieux. En plus de votre soutien, nous pouvons compter également sur celui de partenaires dont nous accueillons plusieurs pages et qui viennent nourrir la réflexion éditoriale de ce numéro. Pour assurer un développement pérenne, notre modèle économique en a besoin, nous le faisons par ailleurs de façon tout à fait claire et transparente, dans le respect de la déontologie du journalisme. Chut ! N°4 propose aussi comme à chaque fois plusieurs articles au format sonore, pour vous permettre plus d’accessibilité et de confort de lecture. Et pour la première fois, le magazine Chut ! passe en réalité augmentée, pour poursuivre notre volonté de créer des passerelles entre la version papier et la version en ligne. Chut, expérience sensorielle au rendez-vous…

 

Belle année 2021 à vous et bonne lecture,

 

Aurore Bisicchia & Sophie Comte