Au début du XXe siècle, Edward Bernays, publicitaire et neveu de Sigmund Freud, propose une approche d’un nouveau genre. Pour améliorer son efficacité marketing  sur les consommateur·rices, il accompagne ses publicités d’une figure tutélaire qui fait référence dans le domaine, le leader d’opinion. Il met en scène des médecins, figures d’autorité permettant de légitimer le petit déjeuner américain œufs bacon, pour le compte de clients dans l’agro-alimentaire. Dans l’industrie du tabac, avec Lucky Strike en recherche de nouvelles cibles, il incite les femmes, qui n’étaient jusque-là pas autorisées à fumer, à prendre la pose, clope au bec, faisant ainsi de la cigarette un symbole d’émancipation féminine. 

Son domaine de prédilection est clair, il le nomme lui même ainsi dans l’un de ses livres : la propagande (son livre Propaganda. Comment manipuler l’opinion en dé mocratie paraît en 1928). Mais la femme d’Edward Bernays sent que le mot « propagande » peut discréditer l’activité de son mari et lui suggère l’expression de « relations publiques » pour la création de leur cabinet de conseil. Un concept qui ne dit pas son nom est né : la manipulation. 

Un siècle plus tard, qu’est-ce qui a changé ? La publicité est partout, et surtout ses contours sont toujours plus flous. Si Internet et les réseaux sociaux ont rebattu les cartes en cartographiant de nouveaux espaces publicitaires, ce n’est que pour mieux brouiller les pistes. Nous sommes entré·es dans l’ère de l’influence marketing. Ici, le principe est toujours le même que celui promu par Bernays, à la différence près qu’il est mondialisé par Internet. Des influenceur·ses incarnent les marques et leurs produits prenant l’apparence de personnes qui nous ressemblent ou qui entretiennent les fantasmes d’une société : richesse, performance, corps parfaits ou plus exactement parfaitement conformes aux normes d’une société sexiste et aux algorithmes formatés pour y répondre. 

Et ça fonctionne plutôt bien ! L’économie de l’influence touche tous les domaines de la société : sport, beauté, bien-être, food, culture… La prophétie du « like » se réalise, elle devient même une religion. 

Seulement voilà, la société change, et les rêves se délitent. Ces nouveaux prophètes que l’on appelle aussi les créateur·rices de contenus doivent maintenir cette étincelle avec leurs fidèles, sur la durée : l’influence n’est pas un long fleuve tranquille. Les consommateur·rices pointent leur manque d’authenticité, mais aussi d’engagement et de responsabilités face aux enjeux écologiques qui animent actuellement le débat public. Alors certain·es se repentent et deviennent influenceur·ses responsables, si tant est que consommation et éthique ne soient pas des concepts antinomiques. 

Et nous, pauvres influencé·es que nous sommes ? Que pouvons-nous faire ? Peut-on se détourner de l’emprise du like ? Prendre le temps de déchiffrer cette nouvelle incantation en ces temps de fêtes à la consommation : voici pour l’heure ce que nous, chez Chut ! magazine, pouvons vous proposer. Bonne lecture.