« Inclusion numérique », l'expression est répandue. Que représente-t-elle aujourd'hui pour un acteur comme La Mednum ?

Guilhem Pradalié. C’est un concept assez ancien en réalité, les premiers acteurs essentiellement associatifs ayant fait le choix d’accompagner les publics face au numérique il y a près de vingt ans. L’État et les collectivités se sont largement emparés du sujet, pour faire monter en compétences en informatique face à la dématérialisation des services et à la fermeture des guichets.

À mesure que le numérique a infusé toute notre société et toutes les activités humaines, de nouveaux acteurs ont rejoint la médiation numérique, les tiers-lieux, les FabLabs, les makers et maintenant les entreprises sociales. Mais inclure numériquement va au-delà de l’acquisition de compétences techniques. Cela repose également sur le développement de bases d’une culture numérique partagée.

Inclure numériquement va au-delà de l'acquisition de compétences techniques.
Guilhem Pradalié, directeur général de La Mednum

Qui sont-ils ces acteurs et actrices de la médiation numérique ?

Julie Stein. L’écosystème est composé d’une diversité d’acteurs : des associations locales, des collectivités, des acteurs publics et privés. Ce sont aussi des agents France services qui accueillent les usagers dans leurs démarches administratives, pour garantir l’accès aux droits, et des conseillers numériques France services qui agissent sur le terrain de la culture numérique pour permettre à tous de se saisir des opportunités offertes par le numérique.

Notre défi est d’arriver à créer un écosystème uni, d’où l’idée d’animer depuis trois ans avec La Mednum l’événement « Parlons Inclusion Numérique » afin de réunir cet écosystème, d’outiller les médiateurs et de créer des liens entre les structures publiques et privées. Pour les rassembler, nous avons parlé de démocratie au moment de l’élection présidentielle, de mobilité lors de l’augmentation du prix du carburant ou encore d’énergie au moment de la crise énergétique.

Le but est-il toujours de lutter contre la fracture numérique ?

G.P. Arrêtons de parler de fracture numérique. L’expression était pratique il y a quelques années quand il a fallu mettre des mots sur le problème ; l’image de la fracture est parlante.

Mais aujourd’hui, elle est caricaturale, comme s’il y avait deux camps, celui qui a accès et celui qui ne l’a pas. La réalité est plus complexe que cela. C’est pourquoi nous préférons parler de public éloigné du numérique. En France, on parle d’une quinzaine de millions de personnes éloignées du numérique.

Plus on isole et on stigmatise une tranche de la population, plus on crée des angoisses et surtout des situations de rupture.
Julie Stein, chargée de projet inclusion numérique à la Banque des Territoires.

La crise Covid a–t-elle permis de prendre la mesure du problème ?

J.S. Elle a permis de comprendre que le numérique n’est pas une évidence pour tout le monde, peu importe la catégorie sociale ou l’âge. Nous ne sommes pas forcément tous et toutes à l’aise avec le numérique et pourtant nous l’utilisons au quotidien. Le « Plan Relance », et le lancement du dispositif « Conseiller numérique France services », sont des réponses au besoin d’accompagnement de ces publics.

Nous avons vécu une accélération des usages, en même temps qu’une montée en puissance de la méfiance et des théories du complot. C’est là que la médiation numérique a un rôle clé à jouer, car plus on isole et on stigmatise une tranche de la population, plus on crée des angoisses et surtout des situations de rupture.

L'évolution dans la santé a été assez révélatrice de ces tensions contradictoires…

G.P. L’accélération numérique a été exponentielle dans ce domaine pendant la crise sanitaire quand il s’agissait d’imprimer les attestations, utiliser un QR Code ou faire une téléconsultation. Ces usages ont conduit à des évolution rapides des pratiques en santé avec la création de Mon Espace Santé, l’entrée de Doctolib dans notre quotidien ou encore l’amélioration du partage de documents entre médecins.

Or, les personnes qui se méfient des services numériques, par crainte de partager leurs données personnelles, pourraient se priver d’un meilleur accès ou d’une meilleure qualité de soins. On voit alors que la question n’est pas tant la capacité technique que le développement d’une culture numérique permettant de se saisir d’outils en confiance dans leurs potentiels et limites.

La solution est-elle à chercher dans l'éducation ?

J.S. Il faut donner les moyens aux enseignants et aux familles d’accompagner les jeunes dans l’éducation au numérique. En sanctuarisant un temps dédié dans la vie scolaire de l’élève, voire en créant un « parcours usagers numériques » tout au long de la vie qui prendrait effet dès l’entrée à l’école. La fracture numérique est fortement corrélée à la fracture sociale et au milieu d’origine.

En tant que lieu historique d’émancipation, l’école est tout indiquée pour être ce carrefour propice au développement de la culture numérique et à l’unification des acteurs qui agissent dans et autour de l’éducation.

Cet article a été réalisé dans le cadre d’un partenariat avec la Mednum.