Madagascar, entre histoire millénaire et modernité tech

Pour cette première chronique de Laurent Alaus, influenceur RSE, direction Madagascar où la technologie devient un levier d’émancipation pour les femmes et d’espoir pour l’éducation des enfants.
J’ai posé mes valises à Antananarivo, virevoltant entre collines et ruelles animées, et me suis plongée dans le flot continu d’une île-monde d’une richesse fascinante.
Isolée au cœur de l’océan Indien, Madagascar déploie une géographie d’exception : à l’est, les forêts humides se parent de lianes et d’orchidées rares ; au centre, les plateaux se dessinent en patchworks ocres et verts, mi-sèches, mi-fertiles ; à l’ouest, le littoral s’étire dans une aridité presque minérale. Cet isolement millénaire a été l’écrin d’une biodiversité sans équivalent, véritable laboratoire à ciel ouvert.
L’économie, majoritairement agricole, s’articule autour de trésors aromatiques et gustatifs — vanille, café, litchis – cultivés par des milliers de petits exploitants. Dispersés sur les hauts plateaux ou dans les plaines brûlées de soleil, nombre d’entre eux vivent en autarcie, entre rizières en terrasses et élevages modestes. Pourtant, derrière cette abondance naturelle, les chiffres rappellent la fragilité du pays : Madagascar figure encore parmi les nations au PIB par habitant les plus faibles au monde.
En ville, l’atmosphère se métamorphose : marchés colorés où se pressent les paniers d’osier, taxis-brousse bondés, échoppes improvisées vendant brochettes fumantes ou recharges téléphoniques. Internet, rare en campagne, irrigue pourtant les cités : cybercafés improvisés, jeunes connectés aux réseaux sociaux, commerçants vendant à distance le fruit de la ferme au consommateur urbain. Peu à peu, les nouvelles technologies tracent les contours d’un Madagascar à deux vitesses : dans les villes, smartphones, paiements mobiles et applications de microcrédit bouleversent les habitudes ; au-delà des périphéries, l’intermittence de l’électricité, le coût prohibitif des données et l’instabilité du réseau freinent encore l’élan numérique.
Madagascar : l'École… « du rire aux larmes »
Parcourir Madagascar, c’est aussi mesurer le chemin à parcourir pour que chaque enfant ait accès à une éducation digne de ce nom. Dans ce pays où plus des trois quarts de la population vivent sous le seuil de pauvreté, l’école demeure une promesse précieuse, parfois fragile. L’intégration des technologies éducatives progresse lentement, ponctuée de projets locaux qui font figure d’étincelles dans la nuit.
Plus de 1,3 million d’enfants restent aujourd’hui hors des bancs de l’école (Unicef), et près d’un tiers de ceux qui commencent le primaire abandonnent avant d’en franchir le terme. Dans certaines zones rurales, un enfant sur deux quitte l’école avant la classe de 5ᵉ. Les infrastructures se font rares : moins de la moitié des écoles primaires publiques disposent de toilettes fonctionnelles, moins d’une sur cinq a accès à l’eau potable. Dans les grandes villes, les classes atteignent souvent soixante élèves, serrés sur des bancs usés.
À l’ère de la connectivité globale, Madagascar risque de creuser un fossé générationnel : le taux de pénétration d’Internet plafonne à 13 % (DataReportal, 2024) et moins de 5 % des écoles publiques disposent de matériel informatique. En zones rurales, neuf enfants sur dix n’ont jamais touché un ordinateur.
Pour combler les manques, la débrouille devient « moteur » : des bénévoles animent des bibliothèques communautaires connectées ; des enseignant·es partagent leur propre smartphone pour ouvrir une fenêtre sur le monde ; des start-ups comme Sayna forment gratuitement des adolescents, en français et en malgache, aux métiers du numérique. Mais sans investissements publics d’ampleur et un engagement soutenu des partenaires internationaux, la fracture digitale menace de priver toute une génération d’un avenir connecté.
Madagascar : les femmes, vectrice du changement
Un chapitre marquant de ce voyage tient dans la force tranquille des femmes malgaches. Actrices séculaires du commerce local, de l’artisanat et de l’agriculture, elles investissent désormais l’espace numérique et entrepreneurial avec une audace nouvelle.
À Antananarivo, j’ai rencontré des entrepreneures qui réinventent leur pays : l’une a conçu une plateforme mobile pour accompagner les agricultrices dans leurs pratiques culturales ; l’autre développe des applications en langue malgache, tissant ainsi un lien entre innovation et identité. « Le numérique nous donne un moyen, un vecteur — pour défendre nos droits, trouver de nouveaux revenus et créer une sorte de Sororité de part et d’autre de l’île », me confia l’une d’elles, le regard clair et déterminé.
De jeunes entreprises portées par des femmes bénéficient aujourd’hui d’incubateurs et de programmes de mentorat soutenus par des associations internationales. Parmi elles : Matina Razafimahefa (Sayna), Michela Ramitomboson (My Mitoo), Marie Stephanie Aina Raharijaona (Stephaina Beauty), ou encore Marie Christina Kolo (Green N Kool). Leurs trajectoires sont autant de preuves que le leadership féminin est un levier d’innovation et de transformation sociale.
Cependant, l’accès au financement, la charge domestique, le manque de formation technique en zones reculées et les préjugés persistants restent des obstacles réels. Mais chaque succès ébranle un peu plus ces barrières, dessinant le portrait d’une femme malgache architecte d’un futur numérique, sans renier son rôle de gardienne des traditions.
Fin du Voyage …
Mon voyage à Madagascar conforte cette idée captivante : une île à la fois reliée au passé lointain de royaumes oubliés, et en marche vers une modernité numérique qui pourrait réinventer ses modes de vie. La géographie singulière façonne une population résiliente, sensible aux innovations technologiques comme aux équilibres sociaux.
Quitter Madagascar, c’est emporter le parfum des marchés, la lumière crue des plateaux, le sourire patient des paysans, mais aussi la conscience aiguë d’un pays suspendu entre deux époques. Ici, les royaumes d’antan côtoient les promesses du numérique ; les femmes, par leur créativité et leur résilience, bâtissent des ponts entre héritage et innovation.
Les défis sont nombreux – infrastructures défaillantes, inégalités économiques, fractures sociales – mais les germes d’un renouveau sont là. Dans le bruissement des collines, dans l’éclat des marchés, dans la clarté d’un écran partagé, se dessine le récit d’une île en pleine métamorphose.
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