Mobilité inclusive : réduire les fractures

Acteurs et actrices de la mobilité comme du numérique partagent le constat de populations exclues tant des déplacements que de la digitalisation des offres et services. Et si l’une des clefs consistait à faire des outils numériques de facilitation de l’offre de transports des objets de médiation ? C’est la voie qu’ont ouvert les participant·es à la 7ème rencontre Parlons Inclusion Numérique, organisée par la Banque des Territoires et la Mednum, en partenariat avec Chut !
L’expression « transports » a disparu. Elle a fait la place à « la mobilité ». Cette mobilité nouvelle, c’est l’une des promesses portées par la « smart city », dont on vendait l’avènement à l’aube des années 2000, rappelle Sarah Emmerich, experte de la notion : « Une ville plus fluide, plus rapide, moins engorgée », grâce aux applications numériques et leur intelligence. Avec ses corollaires : l’effacement des rapports informels (qui se nouaient par exemple avec la pratique de l’auto-stop) et la baisse progressive de l’autonomie laissée aux enfants.
Or en 2022, chaque jour, douze millions de personnes continuent à éprouver, en France, des difficultés à se déplacer. Un reflet des disparités qui touchent aussi la population en matière de transports.
Le baromètre des mobilités au quotidien* reprend ce chiffre. Et en démontre le caractère profondément inégalitaire. 27 % des personnes interrogées dans le cadre de cette étude affirment renoncer quotidiennement à effectuer une partie de leurs déplacements. Les raisons avancées : le manque de solutions, de mauvaises conditions de transport ou « parce que se déplacer leur reviendrait trop cher ». « Cette propension à renoncer aux déplacements est d’autant plus élevée que le niveau de vie des ménages est faible », souligne le document : 38 % parmi les ménages les plus précarisés financièrement, contre 23 % au sein des ménages les plus aisés. Ce sont aussi 24 % des 65 ans et plus qui indiquent ne sortir de chez elles et eux que deux à trois fois par semaine.
Enquêtes de terrain
La notion de mobilité, souligne Sarah Emmerich, résonne avec celle d’autonomie. « Les transports vous transportent. En mobilité, c’est vous qui bougez. L’individu devient acteur de son déplacement », décrypte-t-elle.
Ce n’est pourtant pas si simple. « Cela ne va pas de soi. » La spécialiste en détaille les raisons. L’offre de transports – traditionnel réseau de transports publics, comme les nouvelles possibilités de co-voiturage ou de recours à des modalités douces, facilitées par les applications numériques – se révèle « complexe, mouvante, évolutive ». Sans compter que des abonnements, avec toutes les contraintes qu’ils supposent, sont en règle générale nécessaires pour accéder à ces services.
Kathy David, responsable « projets et développement » de Transdev dans les Hauts-de-France partage cette analyse. « La mobilité ne se décrète pas ». Des enquêtes de terrain menée par l’opérateur dans les quartiers « politique de la ville » de la région nordiste confirment le diagnostic d’une fracture de mobilité, séparant les plus aisé·es des plus précaires. « Leurs habitants subissent des freins cognitifs et matériels et un non désir de mobilité », développe-t-elle.
Pour les lever, Tadao, le réseau de transports dans le bassin minier autour de Lens et Béthune exploité par Transdev, organise des ateliers d’apprentissage à la mobilité, se servant par exemple de casques en réalité augmentée. « L’idée, c’est d’apprendre à prendre le bus, être mis en situation de façon réaliste avant de se lancer dans le grand bain », précise Kathy David.
Entrave supplémentaire
Le groupe POP a accompagné Tadao et Transdev dans l’élaboration de cet outil. « Au départ, l’enjeu ne tournait pas autour de l’inclusion numérique. Mais il est apparu rapidement une forte convergence entre les problématiques d’accès à la mobilité et d’accès au numérique », pointe Emmanuel Vandamme, président et coordinateur de POP. « Sur notre territoire [des Hauts-de-France, NDLR], 20 % des habitants admettent avoir des difficultés d’acculturation au numérique », rappelle Kathy David.
Parmi les populations les moins mobiles, en substance les personnes âgées et les plus précaires, les facilitations déployées par les outils numériques ont constitué une entrave supplémentaire. Un constat sur lequel se heurtent les promesses de la smart city.
A Houilles, dans les Yvelines, l’intelligence a consisté à développer des offres de transports différents, collant aux besoins particuliers de différents segments de la population. Pour répondre à la même problématique : celle des derniers kilomètres entre la gare, le centre-ville et le domicile. « Il faut partir du territoire et de sa société », va dans le même sens Emmanuel Vandamme.
Dans le centre-bourg, la ville développe une offre de trottinettes et de vélos en libre-service , « pour la part de la population très à l’aise avec le numérique », détaille Christophe Haudrechy, adjoint au maire en charge de la transition écologique et des mobilités.
Par ailleurs, le centre-ville est depuis peu desservi par une navette électrique, depuis deux quartiers excentrés de la commune. L’offre, simple et cadrée, est là destinée aux personnes âgées et à toutes celles et ceux qui veulent éviter d’utiliser leur véhicule individuel pour des trajets courts.
Populations ciblées
Une ville rendue plus fluide, plus agréable, par la « digitalisation des déplacements », c’est aussi le credo d’Olivier Koch, directeur général d’Easy Park, une application de paiement de stationnement. « 3 600 villes nous ont fait confiance », indique-t-il. Avec une attention particulière portée à l’ouverture du service à tous les publics. « Notre solution participe à l’inclusion de tous dans la ville. Notamment des personnes porteuses d’un handicap physique, auxquelles n’est pas adapté le mobilier urbain », développe Olivier Koch.
Réduire de concert les deux fractures n’est pas absurde. Au contraire, puisque les populations ciblées se recoupent. « Comment fait-on d’une appli de transport un outil de médiation ? », pose Kathy David. Le territoire est maillé d’infrastructures qui rendent l’entreprise possible, fait valoir Emmanuel Vandamme : les réseaux de médiation numérique.
« Aujourd’hui, l’objectif est de mettre en lumière les points de vue d’acteurs complémentaires et les actions mises en place pour que tout le monde puisse avoir accès aux services de mobilité », poursuit Guilhem Pradalié, directeur général de la Mednum. « Cela soulève de nombreuses questions que l’on va essayer d’éclairer à travers cette édition, pour créer demain de nouvelles collaborations. »
*Baromètre réalisé en 2020 par la Fondation Nicolas Hulot et Wimoov (une association qui promeut de nouvelles formes de mobilité durable). https://www.fnh.org/sites/default/files/presse/barometre-synthese-29-01-2020.pdf
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