Bonjour Fabienne. Comment as-tu un jour pris goût au digital ?

Fabienne Billat : C’est en 1998 que mon frère m’a connectée à internet ! Ce sont alors mes premiers pas, avec les courriers électroniques, pour des échanges avec mes cousins américains. Puis j’ai rapidement été présente et active sur les réseaux sociaux émergents, des expériences pérennes avec LinkedIn… et aussi des flops, avec A Small World ! Abordage de Facebook dans ses premières versions très simplistes, et déjà des rencontres, d’acteurs, d’artistes, de pubeux, de top model ! Le réseau virtuel est une appellation erronée, s’il n’y a pas d’humain et de social accolé, cela ne tient pas.

À chaque réseau social, son modèle d’informations, ses typologies de communautés. Au-delà, il est primordial de s’éduquer à une mécanique d’usage afin de pouvoir s’adapter à la prochaine plateforme !

Je remarque qu’il est plus facile de communiquer sur les réseaux sociaux lorsque l’on a des compétences relationnelles. Mais les réseaux sociaux sont des révélateurs de difficultés voire de dérives, pour qui souffre de timidité, ou à l’inverse d’un ego trop fort. Ils sont aussi un excellent entraînement pour la communication de crise. L’expérience des réseaux sociaux est empirique, c’est ce qui en fait toute la saveur.

Que penses-tu du débat qui oppose digital et numérique ? Pourquoi l’Académie Française s’obstine-t-elle à nous faire dire « numérique » quand « digital » prend tout son sens pour parler des usages ? 

Fabienne Billat : Cette lutte verbale s’estompe sur les réseaux sociaux ! En premier lieu, ce sont des origines linguistiques différentes : « digital » est issu de l’anglais (doigts) et « numérique » du français. Le terme fait ici référence aux informations liées à des chiffres et aux systèmes informatiques.

Ensuite, il y a l’usage. Je distingue ainsi les deux locutions. Il y a le numérique, qui concerne l’informatique. Et il y a le « digital », c’est-à-dire cette ère, ce que je défends depuis toujours, à la fois technologique et culturelle, intégrant la connotation anthropologique, communication, et services.

Quelles différences entre une femme digitale et une femme de la tech ? Et qui sont les femmes de la tech aujourd’hui ? 

Fabienne Billat : Excellente remarque. Il règne depuis quelques mois un amalgame qui profite aux aficionados de la communication, mais pas au soutien des parcours d’ingénieures !

Les associations féminines de communication excellent par leur visibilité sur le digital. Il est pourtant manifeste que les métiers de la com et du marketing digital ne sont pas en carence en matière de parité.

C’est dans le domaine numérique, technologique, scientifique qu’il faut restaurer l’équilibre. Dans le monde, sur l’ensemble des diplômées en informatique, 50 % sont des femmes. On en compte 18 % en Europe et 11 % en France. Il y a bien évidemment des causes économiques qui expliquent ces contrastes, c’est sur les aspects culturels freinants que nous devons agir.

Pourtant, de 1972 à 1985, l’informatique était la deuxième filière comportant le plus de femmes ingénieures au sein des formations techniques. Actuellement la tendance s’est inversée et serait en décroissance. Alors que le nombre de femmes dans la population active augmente…

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En conséquence, dans l’optique d’une société équilibrée, je distinguerai deux arguments majeurs :

  • L’impact économique : avec une répartition plus équilibrée des femmes et des hommes dans le numérique, nous pourrions accroître de 9 milliards d’euros le PNB de l’Union européenne par an. Atteindre cette parité générerait plus de 200 milliards d’euros de PIB supplémentaire, selon une étude McKinsey.
  • Les progrès technologiques sont en plein développement : intelligence artificielle, data, IoT, chatbots… Et pour l’ensemble de ces technos et outils, ce sont autant de services adressés aux consommateurs, pour toute la société, qui sont et seront élaborés, analysés, quasiment exclusivement par une partie restreinte de la population : le genre masculin, de peau blanche. Quelle sera la représentativité de notre société, sa structuration ? Nous le vivons comme une source incroyable de progrès et d’innovation. Mais les femmes sont absentes de ces projets et des équipes : c’est atterrant.

Il s’agit là d’un défi à relever rapidement : le Syntec Numérique estime entre 175 000 et 210 000 le nombre de postes à pourvoir d’ici à 2022.

Je préconise alors de ne pas reproduire ce qui ne fonctionne plus, et de réinventer les formes d’actions. Sortons des biais générés par les associations de femmes, incarnons l’inclusion, car l’engagement passera par le ralliement !

Fatiha Gas, Ancienne Directrice d’Ecole d’Ingénieur du Numérique, Vice-Présidente du Club XXIe Siècle, le confirme : « Sortons de cette confusion engendrée par les exemples mis en avant de femmes qui créent des sites internet pour l’achat de produits de bébés ou dits féminins et qui sont présentées comme ayant réussi dans le numérique. Ces exemples nous renvoient automatiquement à notre condition féminine. Montrons des femmes qui font de la technique au quotidien, qui administrent des systèmes et des réseaux, qui s’occupent de cybersécurité ou qui sont data scientists ».

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Travaillons le terrain : c’est dès le plus jeune âge, puis dans les collèges qu’il faut agir. Auprès des élèves, mais aussi de la communauté éducative. Je propose de balayer un autre poncif, celui des rôles modèles. Observons les études : 90 % des jeunes femmes n’ont pas besoin d’un modèle à suivre pour réussir leur vie, selon une étude OpinionWay. Autant de pistes et de recherches à travailler et explorer.

Et le digital dans les entreprises, ça donne quoi ? Faut-il vraiment l’incarner par une personne comme un Chief Digital Officer ?

Fabienne Billat : Pour une ambition de productivité, le digital devrait se diffuser dans toute l’entreprise.
Alors pourquoi pas un CDO chef d’orchestre ? Plutôt que des méthodes à imposer, je préfère l’audit et la compréhension de la culture d’une entreprise, qui permettent d’acter des décisions en fonction de ses capacités et de ses équipes.

Par exemple, le pôle SI, qui élabore et déploie des outils informatiques, doit répondre à l’organisationnel pour l’activité interne des équipes et des collaborateurs, et permettre de capitaliser sur les données clients.

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La performance de cette finalité ? La convergence des collaborations entre les services informatiques, nourris par les reporting du marketing, enrichis par les données du commercial, et utilisés par le service communication. Tout cela bien sûr avec le soutien d’un management averti.

J’en parlais récemment avec le dirigeant d’un grand compte informatique, qui affirmait que la désilotation pour la collaboration relevait aujourd’hui d’une utopie ! Certains grands groupes travaillent à dessein, notamment grâce au système de gouvernance.

Quels sont tes mots clefs au quotidien ? TransfoNum ? Digitalisation ?

Fabienne Billat : Oui, #transfonum est le plus synthétique. L’abus de hashtags nuit à la lisibilité !

Et les acronymes ? Comment parler digital à tous ceux qui ne le comprennent pas ? Ne risque-t-on pas à créer un entre-soi qui exclut ceux qui ne sont pas « bilingues digital » ? 

Fabienne Billat : Soyons lucides : il y a en effet un jargon, mais quel secteur d’activité, quelle entreprise n’en a pas ? Le sujet se pose différemment pour le numérique, pour lequel nous avons nourri le mythe de la transversalité, de la mondialisation, d’une communauté sans frontières, et sans éléments différenciants. L’humain est ainsi fait, et nous retombons dans les mêmes paradigmes, nous créons des bulles de filtres.

C’est la tendance actuelle numérique : tendre à plus d’inclusion. À nous d’estomper, de gommer ces codes, et tout à la fois, les transmettre et les rendre plus accessibles.