Lucile Lefebvre et Jean-Marie Pommier : « Le numérique n’est pas un métier d’élite »
Un train peut cacher de nombreuses données et métiers digitalisés. Chut! a rencontré des acteurs du numérique du Groupe SNCF, avec Lucile Lefebvre, directrice de l’École numérique, et Jean-Marie Pommier, directeur du numérique de SNCF Transilien.
Quelle place occupe le numérique dans une entreprise de transport connue de tous et toutes, la SNCF ?
Lucile Lefebvre. L’objectif de SNCF est de faire de notre groupe le leader européen du numérique dans le secteur de la mobilité. Sans compter que le numérique transforme tous les domaines d’activité de notre entreprise. C’est pourquoi nous vivons depuis plusieurs années une transformation interne forte, dans laquelle nous embarquons les 150 000 agents de la SNCF pour qu’ils et elles puissent monter en connaissance et en compétence sur ces sujets. Et c’est tout le sens de l’École numérique.
Jean-Marie Pommier. Le numérique est absolument partout. Notre métier, c’est de transporter des personnes et des marchandises… et aussi des données ! Elles ont l’air invisibles et pourtant elles permettent de faire fonctionner tout le matériel roulant, les rames, les locomotives, les wagons. Elles assurent la sécurité du matériel, la circulation des trains sur l’ensemble du territoire. Tous les jours, elles répondent aux questions des voyageurs et voyageuses : comment je réserve une place dans un train, sur quel quai, à quelle heure, comment vais-je réaliser ma correspondance ? Cela fait de la SNCF un très gros générateur de données.
Les data sont donc au cœur de la machine…
J.-M.P. Nous développons, en effet, beaucoup de solutions numériques qui permettent de tirer un maximum de valeur des données afin d’optimiser et d’améliorer notre cœur de métier, le transport, avec un impératif, un fonctionnement 24h/24 en temps réel – la SNCF ne ferme pas à 18 heures ! Communication à bord, au sol, dans les gares et dans les centres de maintenance, les solutions que nous déployons concernent un ensemble très complexe de systèmes d’information. L’intelligence artificielle et les usages autour de 5G sont également au rendez-vous, toujours dans un souci d’optimisation et d’amélioration continue.
Quels sont les typologies de métiers concernés par cette grande transformation interne ?
L.L. Nous couvrons tous les domaines du numérique, cela représente plus de 150 métiers différents occupés par plus 3 000 personnes. Notre challenge est de définir quels seront les métiers de demain, afin d’anticiper les formations et de recruter des profils adaptés. Nous recrutons prioritairement dans les domaines de la cybersécurité (la menace d’une cyberattaque est forte pour une grande entreprise comme la nôtre), de la data, de l’architecture réseau, mais aussi dans le domaine de la gestion de projets techniques. Il y a beaucoup d’autres métiers, sans oublier les métiers autour de l’accessibilité numérique sur lesquels nous sommes très sensibles chez SNCF.
La SNCF a créé l'École numérique, est-ce pour pallier la pénurie de talents ?
L.L. La première mission de l’École numérique est d’accompagner la montée en connaissance et en compétences des agents de la filière numérique car, en effet, la tech est un secteur qui évolue très vite. Concernant la pénurie, nous accompagnons des collaborateurs en reconversion, pour couvrir de nouveaux besoins. Nous avons ainsi lancé un programme Up to Dev visant à reconvertir 300 personnes vers le métier de développeur. Dans ce programme, on peut trouver des conducteurs de train qui ne peuvent plus exercer leur métier en raison d’une inaptitude ou des personnes en mobilité volontaire.
Comment se passent ces reconversions dans le numérique ?
L.L. Nous nous apercevons que le manque de compétences techniques n’est pas un frein. Ce qui compte, ce sont surtout les compétences comportementales et humaines, les fameuses « soft skills » comme la curiosité, la créativité, un très bon esprit d’équipe, de l’ouverture, ou encore la capacité à s’adapter.
J.-M.P. Les femmes et les hommes qui viennent de cette formation insufflent dans nos équipes un sens du métier très concret. Quelqu’un qui a travaillé dans une gare au contact des voyageurs par exemple, et qui devient développeur web, évolue dans une activité qu’il connaît par cœur, mieux que n’importe quel ingénieur informatique. Cela amène une forme d’humilité parce qu’ils connaissent la raison d’être du métier. Le numérique n’est pas un métier d’élite. Nous n’avons pas besoin uniquement de polytechniciens et de formations ingénieurs de très haut niveau ; des personnes passionnées par leur métier, venant de formations plus techniques, ont tout à fait une place chez nous.
Comment faites-vous pour attirer les femmes dans les métiers du numérique ?
L.L. La SNCF est une entreprise active en faveur de la mixité. Depuis 2006, elle est engagée dans une politique en faveur de l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. Aujourd’hui nous comptons 25 % de femmes parmi nos effectifs en DSI. Mais ce n’est pas suffisant et nous luttons avec ce cliché que la tech ne serait pas accessible aux femmes, car elles ont toutes les compétences nécessaires. On sait que les filles réussissent très bien à l’école, mais peu d’entre elles poursuivent leurs études dans l’enseignement supérieur scientifique. C’est pour cette raison que le réseau SNCF Mixité intervient directement dans les établissements scolaires pour présenter nos métiers. Les femmes ont beaucoup à apporter à la SNCF, et la SNCF peut aussi leur apporter beaucoup. Notre entreprise offre une grande diversité de parcours professionnels avec même la possibilité de changer de domaine au bout de quelques années, de se reconvertir…