« A trop être utilisé, le terme impact devient galvaudé », a d’emblée tranché Marion Apaire, directrice de l’Urban Lab de Paris&Co, l’agence de développement économique et d’innovation de Paris et sa métropole qui organise chaque année le Hacking. Dans un propos liminaire à la table ronde, elle a rappelé avec un brin d’ironie que Paris&Co était « le poil à gratter » des innovateur·rice·s. Car comment bien juger de l’utilité d’une innovation ? Marion Apaire et son collègue Mathieu Guerri, responsable incubation chez Paris&Co, en adoptent une définition extensive : « Une innovation peut être technologique, lowtech, de service ou de produit, proposant une nouvelle organisation, un nouveau paradigme culturel ou un levier juridique », ont-ils estimé. Mais pour qu’une innovation produise un impact, encore faut-il qu’elle « agisse de façon systémique » et « génère des bénéfices sociaux et environnementaux présentant une cohérence globale » a poursuivi Marion Apaire.

« Bien utiliser les innovations existantes »

Un constat partagé par Jérémie Almosni, directeur régional de l’Ademe Île-de-France, qui a souligné l’effort de l’Agence de la transition écologique (Ademe) pour mieux prendre en compte des critères territoriaux, sociaux et économiques dans l’élaboration de ses indicateurs. « C’est la question du bon impact », a-t-il résumé, arguant qu’une innovation n’est pas forcément technologique mais peut être « sociale », et relever de « l’économie circulaire ».

Comme chez Mobius réemploi. Cette entreprise récupère des matériaux dans les bâtiments en passe d’être démolis, les reconditionne puis les achemine sur des chantiers de bâtiments neufs. Une initiative qui selon Noé Basch, son fondateur « ne fait rien d’autre que revenir aux processus d’usinage des années 1970 » sans qu’il y ait besoin d’inventer quelque chose de nouveau. Autrement dit, dans le secteur de la construction, toutes les innovations nécessaires existent déjà mais il faut savoir bien les utiliser. « Cependant, il y a une certaine innovation qui réside dans les mécanismes de transmission de l’information qui nous permettent de communiquer sur nos produits low-tech », a-t-il concédé.

Le meilleur déchets reste celui qu'on ne produit pas.

Même son de cloche au sein du réseau de magasins solidaires de matériel médical Envie Autonomie. Ali Celik, directeur général adjoint, a égrené les 3 principes directeurs qui guident cet acteur de l’économie circulaire : ne pas produire de déchets, ramener les gens vers un emploi durable et tendre vers une économie d’usage. Une stratégie qui vaut à Envie Autonomie d’être lauréate du contrat à impact « Economie circulaire » de l’Ademe, un mode de financement par lequel la puissance publique rembourse les financeurs privés du projet lorsque les objectifs sociaux et environnementaux de ce dernier sont atteints.

S’appuyer sur des référentiels d’impact

Existe-t-il des critères universels d’évaluation de l’impact de l’innovation ? Jérémie Almosni a rappelé que l’Ademe se fie aux 17 objectifs de développement durable fixés par l’ONU en 2015 : éliminer la pauvreté, réduire les inégalités, générer une énergie propre et abordable, assurer l’égalité entre les sexes, préserver les écosystèmes terrestres et aquatiques, etc.

De plus, il a mis en avant deux référentiels accessibles aux entreprises pour les aider à amorcer leur transition écologique. L’initiative ACT (Assessing low Carbon Transition) leur offre des outils pour développer et évaluer leur stratégie de décarbonation. La base de données IMPACTS, fruit d’un programme gouvernemental, met à jour les données d’impact environnemental des produits de grande consommation. A ce titre, Noé Basch a tenu à saluer la réglementation environnementale de la France, « une des plus impactantes au monde » : « Dans le milieu de la construction, il faut labelliser les projets verts, et quantifier l’intégralité du cycle de vie d’un bâtiment. C’est une obligation réglementaire. »

Economie de la fonctionnalité : un changement de mode vie

Pour Ali Celik, la mesure d’impact doit aussi inclure des variables macro. Le bénéfice sanitaire qu’il y a à travailler avec du matériel reconditionné (une personne non équipée a plus de risque de chute) profite aussi à la société : « On estime que si l’économie circulaire devenait le modèle dominant, l’Assurance Maladie ferait 25 millions d’économie », a lancé le directeur adjoint d’Envie Autonomie. Avant de nuancer : « On sait que nos activités peuvent aussi générer des déchets : le meilleur déchet reste celui qu’on ne produit pas. »

Au terme de l’échange, les intervenants ont pris du recul sur la notion d’innovation. Pour qu’elle soit réellement à impact, il s’agirait simplement de remettre les besoins au cœur de nos modèles, se baser sur l’existant, développer une économie de la fonctionnalité. C’est d’ailleurs ce que souhaite prouver l’Ademe à travers ses appels à manifestations d’intérêt, en cherchant « de beaux projets autour de l’éco-conception et de l’économie de la fonctionnalité », a assuré Jérémie Almosni.

Mais comment élargir ce modèle à l’échelle de la société ? « Nous vivons sur quatre siècles de colonisation. Pour créer de la valeur il faut de l’énergie et de la matière. Or, il n’y en a pas en Europe. Un changement de mode de vie est donc fondamental lorsqu’on parle d’économie circulaire », a conclu Noé Basch. A travers ces différentes interventions, la table ronde aura donc permis d’identifier la condition sine qua non de l’innovation à impact : une transformation systémique de nos systèmes de valeurs.