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S’il n’en restait qu’un ? LinkedIn sera-t-il le survivant, parmi les médias sociaux emblématiques du web 2.0 ? Le contexte morose, pour ne pas dire de fin de règne, des plateformes en petite forme – voir les déboires d’Elon Musk dans sa prise en main de Twitter ou les licenciements gigantesques annoncés chez Meta – pourrait le laisser penser.

Sans étonner le microcosme. Le réseau de réseautage fondé par Reid Hoffman en 2003 continue à proposer une expérience à part. Et échapperait, de ce fait, aux travers dénoncés chez ses concurrents grand public.

LinkedIn conserve une fonction conversationnelle forte. Débattre de manière constructive y reste possible. Le fil d’actualité y reste lisible, pas comme sur Facebook devenu, à l’instar d’Instagram, un enchaînement infini de réclames publicitaires. Ou sur Twitter où l’invective fait figure de norme de dialogue.

Gestion de vitrine

La dimension professionnelle des usages de LinkedIn constitue évidemment la clef de compréhension du réseau. Sur LinkedIn règnent les règles de la « netiquette » chère aux pionnier·es de l’Internet. Cette vigilance apportée à la gestion de sa vitrine professionnelle conduit à une auto-modération. Ou, en second recours, à la modération entre pairs (gratuite pour la plateforme). Ce sont les utilisatrices et utilisateurs, qui rappellent la règle commune tacite : on ne sort pas du cadre attendu.

Le choix d’un modèle économique fondé sur l’abonnement explique ensuite sa solidité. Difficile de distinguer les sources de revenus. L’entreprise annonce, pour juin 2022, une augmentation du chiffre d’affaires de 26 % (29 % en monnaie constante) par rapport à l’année précédente1. C’est Microsoft, le nouveau propriétaire de LinkedIn, qui communique ces chiffres. Une acquisition record, pour le montant de 26,2 milliards de dollars. Mais le modèle reste fondé sur l’abonnement. Le montant n’est pas insignifiant, autour de 500 € par an pour un abonnement de base, individuel. L’un des grands succès de LinkedIn a été de proposer des abonnements d’entreprises, payés par ces dernières plusieurs milliers d’euros annuels, pour inciter ses salariés à s’y montrer présents. Une véritable poule aux œufs d’or.

La société est confortablement installée dans une situation de monopole – c’est le seul réseau social professionnel qui « a pris ». Son nombre d’utilisateur·trices actif·ves reste en croissance. 

L’aspect très lissé, en raison de son ADN, s’il agace parfois par son manque de naturel et de spontanéité, est l’un des ferments de l’échange respectueux. Conséquence : un fonctionnement algorithmique qui semble plus sain qu’ailleurs. Pas besoin de jouer à la culture du buzz, érigée désormais, ailleurs, en modèle économique fondée sur le temps d’attention volé aux membres participant·es.

Sujet pointu

L’influence, dès lors, s’y joue sur une autre partition. Les gens qui comptent sur LinkedIn sont des producteurs et productrices prolixes de contenus de qualité. On y gagne en notoriété quand on y est identifié·e comme l’expert·e d’un sujet pointu. L’engagement des followers y est moins visible – on ne parle pas de millions de like – mais plus profond.

On peut voir dans ce mode de fonctionnement une marque de la façon dont LinkedIn inspire les autres réseaux sociaux. C’est sur LinkedIn qu’a émergé la tendance à la micro-influence, qui met en valeur les audiences limitées mais très perméables aux conseils de celles et ceux qu’ils et elles suivent.

Toutes les plateformes poussent en avant certains contenus, et leurs créateur·trices. Suivant une formule tenue archi-secrète, faite de quotas de likes et de vues. LinkedIn assume de mettre au point une hiérarchie. Régulièrement, l’entreprise dévoile ses « top voices », déclinées sur diverses thématiques (chef·fes d’entreprises, « nouvelle génération », etc.), sélectionnés en raison de leur audience et de leur assiduité à creuser un sujet par le média créé par la maison, LinkedIn Actualités.

L’importance prise sur ce réseau par des influenceuses et influenceurs d’un genre nouveau est ainsi très révélatrice. Début novembre, alors que s’ouvrait la COP 272, LinkedIn communiquait autour de son « top voices » consacré aux thématiques environnementales. En France, on y retrouve quelques journalistes spécialisés, comme Anne-Sophie Novel, Loup Espargilière, créateur du média Vert ou encore la journaliste du site d’infos Blast, Salomé Saqué. A leurs côtés, des expert·es, qui ont désormais largement dépassé les frontières du réseau social professionnel et ont été légitimés par les médias, tel Jean-Marc Jancovici. Pas distingué par LinkedIn et pourtant influent et suivi, Thomas Wagner délivre ses avis de « bon pote » sur les crises climatiques, à ses 113 000 abonné·es.

Au nom de sa boîte

Une thématique qui engendre ici nombre de commentaires, quand les conséquences des changements climatiques peinent à intéresser les followers des gens qui comptent sur les autres réseaux (voir article Influence écolo).

La qualité du débat, qui a fait la particularité de LinkedIn, et son succès, reste-t-elle garantie, en vertu de son origine et de son modèle économique ? Les contenus proposés sur la plateforme peuvent-ils arriver encore à s’auto-réguler par la communauté à mesure que la plateforme grandit / se généralise ? De premiers signaux faibles montrent l’arrivée par la petite porte de contenus haineux, très clivants ou de fakenews. Peuvent-ils entraîner Linkedin dans une facebookisation ? Les choix stratégiques de Microsoft seront sans doute déterminants pour ne pas tuer la poule aux œufs d’or. Et si le pari historique était finalement toujours la recette gagnante, pour cultiver sa différence et  continuer à mettre en avant la micro-influence en dépit de contenus plus mainstream ?