
Internet, terrain d’une masculinité en crise ?
*disclaimer*
Le sujet étant sensible pour beaucoup d’entre nous, je tiens à rappeler que tout est à prendre avec beaucoup de nuances et qu’il est surtout ici question d’amener davantage de réflexions pour que nous puissions tous aller vers quelque chose de positif et de bienveillant.
*fin du disclaimer*
La masculinité est-elle en crise ? On peut dire que le sujet suscite des réactions passionnées. Elle apparaît dans divers webzines, dans des commentaires réactionnaires sur Twitter ou YouTube. Certain.e.s nient son existence, d’autres y voient l’opportunité, le reflet de problèmes à traiter. Ma réponse ne sera pas celle d’un expert en psychologie ou en sociologie, mais celle d’un simple être humain.
Le mot « crise » vient du terme Krisis, qui en grec signifie « jugement », « décision », au sens de décider quelque chose pour trancher entre deux parties opposées. Une crise est souvent le prémisse d’une mutation, alors ne pourrait-on pas dire que la masculinité est en crise, tout comme la féminité ? N’est-il pas ici question de sortir des cases, de s’émanciper des carcans sociaux, aussi bien des deux côtés ?
C’est là que le bât blesse pour certain.e.s. Une idée commune veut que l’idée de « crise de la masculinité » soit une manière réactionnaire et empreinte de déni pour décrédibiliser, voire causer du tort à la cause féministe.
En effet, certains hommes se mettent en position de victimes lorsque les violences de toute sorte faites aux femmes sont évoquées. De sorte qu’ils se déresponsabilisent et ramènent l’attention à eux, condamnant au silence les revendications féministes en question. On peut comprendre que cela en agace certain.e.s. Cependant, ne mettons pas tout le monde dans le même panier.
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Ce qu’on perd à parfois faire des raccourcis ou des suppositions sur certaines réactions, c’est le vrai message derrière, celui d’une victime qui cherche une oreille attentive. Car au-delà d’une masculinité remise en cause, ce sont parfois des victimes masculines de viol qui essaient de se faire entendre et qui n’ont pour réponse que du mépris.
Heureusement, sur le net, des initiatives se mettent en place : des endroits qui permettent de voir les choses différemment et avec des prismes multiples. Bref, donner la parole aux hommes, faire entendre des voix, différentes, intimes, authentiques, critiques, parfois en désaccord. The Boy’s Club, Tu Bandes, Les couilles sur la table, Les nouveaux princes, Man Enough, Histoire de darons, entre comptes Instagram et podcasts, la masculinité se cherche, tâtonne, se redéfinit pour laisser, qui sait, plus de place à sa pluralité sans faux-semblant ni malveillance.
Tu seras un homme, mon fils !
Être un homme, c’est quoi ? C’est la question qui revient dans The Boy’s Club, un podcast qui laisse la place aux individus pour qu’ils racontent leur rapport à la masculinité et leur propre histoire. En écoutant The Boy’s Club et Man Enough (un podcast américain qui réfléchit à la définition de la masculinité et aux problématiques qui y sont liées), la vision sociale de ce que les hommes doivent être est souvent liée à celle de la virilité. Dans ces podcasts, des injonctions reviennent régulièrement : « Tu ne dois pas montrer tes émotions », « Tu dois être fort », « Tu ne dois compter que sur toi », « Tu ne dois pas montrer de preuves de faiblesse », « Tu ne dois pas pleurer ».
Des injonctions qui ne sont pas sans rappeler l’idée qu’on se fait d’un guerrier, solide comme un roc, sans peur et sans émotion. Et ce n’est pas pour rien, nous explique Olivia Gazalé, auteure du Mythe de la Virilité, dans le podcast Les Couilles sur la table, que l’étymologie même de la virilité est liée. Le terme vient de « Wiros » qui signifie « guerrier ».
Dans un tel contexte, difficile de s’accorder cette part d’humanité qui fait qu’on est tous vulnérables. Alors que faire ? Remettre les choses en question ? Changer ?
Masculinité positive VS masculinité toxique
La masculinité toxique
Influencés par les conséquences de #MeToo et le regain féministe de ces dernières années, les projecteurs se sont pointés vers la masculinité : ce qu’elle est et comment elle se manifeste. Une masculinité positive est venue s’opposer à une masculinité toxique.
Le concept de masculinité toxique viendrait de la psychologie et de la sociologie. Elle s’associe à tout ce qui a un caractère violent principalement. Les comportements misogynes et homophobes principalement, que ce soit des blagues ou des agressions. Mais il s’agit aussi de traits anxiogènes qui relèvent d’une violence que les hommes s’infligent par le biais de la masculinité : la répression des émotions, une négation de problèmes psychologiques potentiels, etc.
La masculinité positive
La masculinité positive s’est construite en partie avec le regain de féminisme. C’est une masculinité qui sort de ses constructions sociales toxiques. Cela passe par une prise de conscience des violences faites aux femmes notamment : harcèlement, agression, remarques déplacées. S’ensuivent alors la remise en question et la mise en application. Ou tout du moins de sa tentative. Car il n’est pas aisé de changer certains automatismes. Disons que le chemin est long et tortueux. On retrouve aussi dans le compte Instagram Tu bandes des posts qui amènent à penser autrement, comme ce post qui parle de consentement au sein du couple et du fait qu’on associe souvent le couple à un consentement automatique.
La masculinité positive, c’est aussi sortir des schémas anxiogènes pour les hommes eux-mêmes, comme s’autoriser à avoir des émotions et à les écouter. Sur le compte Instagram Les nouveaux princes, les hommes peuvent, entre autres sujets diverses, parler des émotions qu’ils ressentent, mais aussi de la difficulté à les exprimer, comme si ce n’était pas naturel.
La masculinité positive, ce n’est pas seulement un élan qui fonctionne par réaction ; c’est aussi pour certains hommes la volonté de revendiquer des droits. Le droit à la paternité par exemple : le droit d’avoir des gardes équilibrées pour les parents séparés, le droit à un plus grand congé paternité ou même le droit d’être père au foyer comme nous le prouve Samsam, jeune père au foyer fatigué et heureux, dans l’épisode 38 du podcast Histoire de Darons.
On peut dire que les fondements mêmes de la définition de la masculinité sont en proie au doute, à la remise en question, aux changements. La masculinité est en crise existentielle, en crise identitaire. De façon similaire à l’identité féminine, pourrait-on dire. Mais elle n’est pas en crise comme un enfant le ferait. Il n’est pas question de crise de colère ou de caprice. Certains réactionnaires et trolls dans le déni s’y plongent sûrement, mais intéressons-nous à toutes les voix, car certaines ne méritent pas d’être tues.
La parole aux hommes
Dans un épisode assez dur (trigger warning) de The Boys Club, Anthony, qui se livre à l’exercice du podcast à cœur ouvert, témoigne anonymement de son parcours. Il explique avoir subi des agressions sexuelles dans son enfance. Et il raconte ses différentes tentatives de chercher une oreille attentive auprès de plusieurs femmes féministes. Il y raconte l’accueil haineux ou méprisant qu’il a essuyé à chaque fois et déplore les attitudes réactionnaires. Anthony explique que cela l’a conduit à se détourner du féminisme, faute d’être écouté.
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Sans récupération politique ou idéologique, dans le fond, ce qu’il demande, c’est que les hommes soient entendus. Il voudrait pouvoir dire « les hommes aussi » *, sans éclipser la parole des femmes, qu’il y ait même de la place pour les deux et pourquoi pas ensemble ? Anthony soulève d’ailleurs qu’il existe peu d’associations que les hommes peuvent contacter en cas de violences physiques ou sexuelles. Le principal SOS hommes battus ayant notamment mis la clé sous la porte.
Autre sujet épineux, l’image de la masculinité. Anthony semble être noyé sous une image médiatique qu’il trouve parfois très négative des hommes. L’affirmation violeur = homme revient souvent comme exemple dans son discours. Il aimerait qu’on mette moins tout le monde dans le même panier. Il souhaiterait moins de généralisation et pouvoir dire « not all men » (pas tous les hommes).
Écouter pour mieux échanger
Les comptes Instagram comme @Tubandes et @Les nouveaux princes permettent aussi aux hommes de s’exprimer, d’échanger. Entre eux, mais aussi avec des femmes, puisque chacun peut commenter. On y parle de problèmes de relations amoureuses, mais aussi de relations sexuelles. Le compte @Tubandes au nom évocateur parle des pressions de performance sexuelle pour les hommes, aussi bien que d’androcentrisme dans les relations sexuelles hétéronormées, ou du fait que oui, les hommes peuvent aussi ne pas avoir envie d’un rapport sexuel tout le temps.
Mais il parle aussi culture du viol, et ce, dans les deux sens. Chacun peut témoigner de façon anonyme. L’auteur du compte choisit ensuite un témoignage et met en exergue les problématiques soulevées. Puis chacun peut participer de façon inclusive dans les commentaires. On évoque les comportements inappropriés d’hommes envers des femmes, mais aussi de femmes envers des hommes.
On parle de consentement, de ces limites, de sortir des injonctions ou des poncifs comme « les hommes ne peuvent pas se faire violer », une idée qui perdure encore dans l’esprit des gens. Le viol des hommes reste encore tabou et ses comptes sont d’importants moteurs pour libérer la parole des hommes.
Sortir de l’opposition
La masculinité concerne les hommes parce qu’elle touche à leur identité propre, leur parole est importante parce que cela les concerne. Le féminisme a son rôle à jouer parce que la masculinité s’est imposée pour asseoir une domination systémique, si ce n’est généralisée, sur la féminité. Leur destin est donc entremêlé. Cependant, aujourd’hui, comme tiraillé entre média et idéologie, chacun semble à nouveau coincé dans un antagonisme. Comme si finalement, ils ne pouvaient qu’exister par opposition à l’autre. Le « féminin » versus le « masculin », « la force » versus « la douceur », « l’action » versus « l’émotion », « l’action » versus « le soin », le « féminisme » versus le « masculisme ».
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Le blog d’Emma s’attache à faire connaître et faire réfléchir sur les dynamiques sociales en place. Elle met en emphase les charges émotionnelles et mentales dont les femmes ont souvent la responsabilité. Dans ses réflexions, elle invite chacun.e à se poser des questions et à sortir de sa zone de confort. Emma a notamment mis en avant les relations de couple et les carcans sociaux qui transparaissent. On constate rapidement que les changements doivent s’opérer des deux côtés si l’on veut faire avancer les choses, que la complicité des hommes est un élément essentiel pour déconstruire ses carcans.
Décloisonner les rapports ensemble
Mais si au-delà de la déconstruction, il était question de reconstruire ensemble ? Dans l’épisode 9 de Les Couilles sur la table, Olivia Gazalé nous confie le cheminement de sa réflexion. Elle explique que sa pensée se retrouve dans un cul-de-sac. Elle ne comprenait pas comment la cause des femmes ne parvenait pas à avancer malgré la sensibilisation et les actions militantes. « Je réfléchissais sur le féminin. En réalité, le problème vient, non pas seulement des stéréotypes sexués sur le féminin, mais vraisemblablement des stéréotypes sexués sur le masculin ». L’autrice nous confie alors avoir pris du recul sur la parole de certains hommes. Et s’il n’est pas question de déresponsabiliser les hommes, elle comprend que la violence des constructions masculines s’exerce sur les femmes, mais aussi sur les hommes. Faisant prendre tout son sens à ses yeux à la phrase de Bourdieu : la virilité est à la fois un piège et un privilège.**
Dans l’épisode 14 de Les couilles sur la table, le sociologue et philosophe Raphaël Liogier, auteur de la Descente au cœur du mâle, surenchérit. Il faut « décloisonner les rapports » entre les hommes et les femmes. Il invite par là à ce que chacun puisse s’identifier aux qualificatifs qui lui convient. Que les émotions, la vulnérabilité, les failles s’apparentent aussi bien aux femmes qu’aux hommes. De la même façon que la force, l’indépendance, l’action, s’apparentent aussi bien aux hommes qu’aux femmes. Raphaël Liogier parle d’une façon souple d’appréhender la masculinité et ses mutations. Il sait que le chemin est long et difficile à mettre en place. Pour lui, la masculinité peut s’assouplir, se détendre, pour être plus plurielle, moins linéaire. Un genre de « yoga de la virilité ».
Des propos qui invitent à une compréhension mutuelle, à une pluralité des identités, à une souplesse des constructions sociales pour que chacun puisse être soi. Pour qu’on considère chacun comme un être humain tout simplement.
Entre tapage médiatique, bataille idéologique, expériences individuelles, il n’est pas toujours évident de savoir quoi penser. Probablement parce qu’un système est fait d’individus. Il semble parfois bon néanmoins de ne pas oublier qu’un individu a une histoire propre et que chaque histoire ne s’apparente pas toujours à un lieu commun. Si la masculinité est un privilège, elle est aussi un piège. Il n’est pas question de déresponsabiliser, mais d’écouter. Les réseaux sociaux ont permis de libérer la parole, parfois une parole qui serait restée muette faute de média pour s’exprimer. Hâtons-nous de garder cette écoute et le safe space que peut offrir certains espaces sur internet. Car si féministes et masculistes s’allient, il y a fort à parier que le chemin de l’égalitarisme arrivera plus tôt qu’on ne le croit.
SOURCES :
* « Et si ça suffit pas pas on tombe alors dans la culture du viol : “un homme c’est fort ça peut se défendre c’est donc qu’il le voulait bien” non ! “faut qu’il ai une érection pour avoir un rapport sexuel, s’il a une érection c’est qu’il est consentant” non ! “un homme ça pas se faire violer parce que ça a toujours envie de baisser” NON !!! » extrait de la réaction d’Anthony après écoute de l’épisode The Boys Club où il témoignait.
** « le privilège masculin est aussi un piège et il trouve sa contrepartie dans la tension et la contention permanentes, parfois poussées à l’absurde, qu’impose à chaque homme le devoir d’affirmer en toute circonstance sa virilité ». Pierre Bourdieu, La domination masculine.
The Boys Club:
-> épisode 32 : Anthony, victime de violences sexuelles
– Histoire de Darons :
-> épisode 38 : Samsam, la nouvelle garde des jeunes pères
–Les couilles sur la table :
-> épisode 14 : Après #MeToo : une autocritique du mâle
-> épisode 9 : Educations viriles
– Le podcast de l’acteur Justin Baldoni, Man Enough :
-> épisode 2 : Let’s get vulnerable !
– Le compte instagram Tu Bandes :
– Le compte instagram Les nouveaux princes :
– Les sentiments du prince Charles, Liv Strömquist.