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Longtemps, le numérique a été perçu comme un allié de l’écologie. La dématérialisation, c’était la promesse d’économies, de papier, notamment. Pour une solution écologique, pensez numérique

Le vent a tourné. Pour les appareils, comme pour les usages, on sait désormais que le numérique entraîne d’importantes dépenses d’énergie et consomme des ressources qui ne sont pas illimitées. Pire : la croissance du secteur du numérique laisse entrevoir une pollution exponentielle. Ce secteur représente aujourd’hui 3 % des émissions de gaz à effets de serre. Mais sa croissance énergétique est de 10 % par an.

En réponse, émerge un mouvement faisant la promotion du GreenIT — ou «éco-TIC», en français. A ne pas confondre avec ce qu’on appelle le «IT for green» ou les solutions numériques aux impacts écologiques positifs. Un exemple : les logiciels de gestion de flottes automobiles dans les entreprises de transport. Un numérique aux vertus écologiques souvent mis en avant. Mais attention au greenwashing! Si cet It for Green permet d’alléger un peu la facture écologique… n’est-ce pas une goutte d’eau dans l’océan des émissions dues au numérique dans son ensemble?

Effets rebond

Alors, comment rendre le numérique plus sobre? Une première voie consiste à limiter l’empreinte des services et des produits existants. Mais un écueil de taille se dresse tout de suite : c’est remettre principalement cette responsabilité sur le dos des consommateurs et consommatrices. Et même si l’initiative provient des opérateurs, on constate des effets rebond. En clair, les économies réalisées sont vite compensées par une augmentation des usages. Quand Google réduit de plus de 70 % la facture énergétique de ses serveurs en optimisant l’utilisation de l’énergie pour leur refroidissement, il en profite pour démultiplier encore ses data centres.

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Reste la voie de l’éco-conception. Plus efficace et plus durable. Béatrice Bellini, maîtresse de conférences en sciences de gestion à l’université de Paris-Nanterre, le rappelle : «80 % des impacts sont prévisibles et définis à la conception.» Or, souligne-t-elle, «les formations en école d’informatique n’incluent aucune réflexion sur la sobriété numérique». «Quand on fait travailler les futur.es informaticien.nes sur la dépense énergétique, l’objectif n’est pas de la minimiser, mais de la rendre plus performante : pour pouvoir traiter plus de choses, plus rapidement.»

Eco-conception web

Le secteur ne reste toutefois pas bras ballants. Le collectif GreenIt.fr rassemble des acteurs privés et publics «en faveur d’une conception responsable des services numériques». Ses experts ont produit un référentiel de 115 bonnes pratiques d’«éco-conception web». Évidemment très techniques, elles visent à diminuer le nombre d’échanges de données entre les terminaux de consultation des pages web (les ordinateurs) et les serveurs hébergeant les données. Un exemple, qui pourrait paraître trivial : favoriser les polices standard, soit le choix de formes des lettres d’une page. Si cette police est standard, elle sera déjà présente sur le poste informatique et l’ordinateur ne devra pas la télécharger pour que le texte soit lisible.

Par ailleurs, le lobbying citoyen s’organise. L’association HOP pour Halte à l’obsolescence programmée veut «obliger le marché à se transformer», dit Laëtitia Vasseur, sa cofondatrice et déléguée générale. Dans son viseur : l’obsolescence logicielle, «une problématique très importante, mais que les responsables politiques commencent seulement à découvrir», regrette-t-elle. L’association milite pour plus de transparence sur la durée de vie des logiciels (cette appli supportera-t-elle une mise à jour système de votre smartphone?). Elle exige aussi que les éditeurs ouvrent leur code source pour continuer à utiliser ses appareils qui fonctionnent avec tel logiciel, même après la fin du support technique prévu.   

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Solution plus radicale encore : développer une informatique qui pourrait survivre au collapse. Les expérimentations existent déjà. Sur le continent africain, par exemple, où, sur certains territoires, des données web sont échangées par ondes radio ou par les lignes du téléphone plutôt que via l’architecture réseau d’Internet. On parle aussi de «sneackernet», une pratique qui consiste à transmettre des infos, sans réseau informatique, sur des supports tels que des clés USB ou des CD-roms, et qu’on s’échange «à la vitesse de nos pieds». D’où ce nom, tiré de «sneackers», les tennis, en anglais. A Cuba, il y a encore quelques années ou en Corée du Nord, la pratique est courante, pour échapper à la surveillance des régimes politiques.

Ces réflexions, ces pistes qui se dessinent incitent, en tout cas, à réfléchir aux usages et à imaginer un futur «défuturé», comme y invite le designer australien Tony Fry. C’est dans ce contexte qu’il faut, par exemple, évaluer le lancement de la 5G en France. 5G dont le principal argument est une capacité supérieure et plus rapide à échanger des données. Elle permettrait par exemple de s’amuser sur un jeu en ligne dans un TGV roulant à 320 km/h, comme l’illustre le collectif GreenIt.fr, qui s’interroge : «Est-ce bien raisonnable?»