Isabelle Collet : « Tout le monde doit pouvoir donner son avis sur la technoscience, notamment en matière d’IA, parce que cela impacte nos vies à tous et toutes »

Le numérique va-t-il enfin devenir l’affaire de toutes ? Isabelle Collet, professeure de sciences de l’éducation à l’université de Genève, revient avec un nouvel ouvrage, Le Numérique est l’affaire de toutes aux éditions Le Bord de l’eau. Après un premier ouvrage intitulé Les Oubliées du numérique (éditions Le Passeur, 2019), mettant en avant l’absence organisée des femmes dans le secteur, elle suggère désormais des actions communes à mettre en place afin d’avancer enfin sur cet enjeu d’égalité et de justice sociale.
Quel regard portez-vous sur le secteur de la tech aujourd’hui ?
Si je me projette vingt ans en arrière, j’étais optimiste sur ce secteur, désormais un peu moins. J’ai démarré encore vingt ans plus tôt mes travaux sur le genre et le numérique dans l’indifférence générale. À cette époque, le fait qu’il y ait peu de filles dans la tech ne suscitait pas beaucoup d’émoi. Vingt ans plus tard, ce n’est plus du tout l’idée. Et il y a eu en France — un peu moins en Suisse — une prise de conscience sur le fait que le peu de présence de femmes dans le secteur est un problème.
Au moment où Chut ! m’a interviewée pour son premier numéro, en 2019, j’étais ravie de voir ce genre de médias exister, de constater que beaucoup de femmes journalistes dans la tech se sont mises à écrire sur la question.
Les écoles ont commencé à trouver étrange que leurs promotions soient aussi peu mixtes, les entreprises ont commencé à se poser sérieusement des questions sur le fait qu’elles n’arrivent pas à recruter de femmes. Il y a eu un grand mieux et cela a déclenché tout un tas d’initiatives. Certes, certaines d’une efficacité douteuse, certaines de l’ordre du gender washing, mais beaucoup d’actions se sont mises en place. Ensemble, elles ont fait un effet de masse et ont fait émerger cette problématique. Pour l’instant, il faut reconnaître que les conséquences concrètes restent modestes selon les derniers chiffres sortis, par exemple par Gender Scan.
Comment expliquer cette stagnation ?
Depuis, deux éléments ont eu un impact sur le nombre de femmes présentes dans le secteur.
D’un côté, des changements conjoncturels ont fortement touché les chiffres des écoles du secteur : la transformation du baccalauréat a mis un coup de frein à l’accès des filles aux filières scientifiques et techniques. Et de fait pendant quelques années, on a vu une baisse de fréquentation de filles dans les écoles d’ingénieur tout simplement parce qu’elles n’avaient pas le bac nécessaire pour y entrer. C’est heureusement en train de se lisser parce que toutes les entités concernées se sont mobilisées.
Et depuis l’élection de Trump, il y a des raisons complètement objectives d’être inquiètes. Il y a une situation politique qui a fait un bond en arrière. Par exemple, je me suis rendu compte récemment que je ne pourrais plus aller aux États-Unis, car j’ai un vrai risque de ne pas passer l’immigration. J’écris désormais des livres interdits selon leurs critères, j’emploie des mots interdits, je suis super woke. Des chercheurs et des chercheuses se sont déjà retrouvé·es dans l’avion de retour. En tant que femme blanche occidentale de classe moyenne, je ne m’attendais pas à ce qu’un autre pays occidental me soit fermé.
Comme l’a pointé la sociologue Dominique Meda dans une tribune dans Le Monde, des entreprises européennes ont en plus obéi aux injonctions de Trump de mettre un terme aux politiques incitatives de féminisation de leurs équipes. SAP, la société allemande de logiciels, a annoncé l’arrêt de leur politique incitative par exemple, tout comme la banque suisse UBS. Certaines entreprises résistent et ne se laissent pas intimider, mais d’autres ont fait un retour en arrière net. Donc, je suis nécessairement aujourd’hui moins optimiste que je ne l’étais il y a quelques années. Nous avons progressé, mais désormais il faut vraiment tenir nos positions.
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