Quand le scroll remplace la réflexion

Plus personne ne peut prétendre y échapper. L’infobésité est le mal de l’époque. Et la « malinformation », pour tenter un néologisme sur le modèle de « malbouffe », en est l’un des éléments les plus délétères.
Personne ne peut prétendre y échapper, en effet. Tous les jours, nous interrogeons les contenus qui nous assaillent. De ce que nos enfants et nos proches partagent avec nous quotidiennement. Les sujets les plus politiques, tels la géopolitique et le dérèglement climatique, comme les plus intimes, comme les questions de santé sont les cibles no-tables des marchands de doute. Plus prosaïque-ment, aussi, les infos détournées pullulent autour des aides sociales ou d’autres dispositifs publics, comme les « chèques énergie ».
Elles sont une porte d’entrée vers de véritables arnaques. Qui peut assurer qu’il ou elle ne se fera ja-mais avoir par une opération de phishing bien ficelée, via un message de l’assurance maladie ou des services des impôts ?
Autres générations, autres chimères, des faux-nez copiant l’aspect de plateformes de fast consommation, de Shein à Temu, proposent des cadeaux in-vraisemblables et font croire aux gains ultra faciles, pour piller un peu plus nos données et faire de nous les victimes d’arnaques démultipliées.

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Pratiques humaines

On ne peut pas s’extraire du cercle des victimes potentielles de la désinformation, parce qu’elle emprunte désormais trop de canaux. Elle joue sur trop de ressorts. Les raisons de croire ou pas, de donner une crédibilité à un contenu sont multiples. Parce qu’il conforte notre opinion. Parce qu’il joue avec nos désirs. Ou parfois parce qu’une information trop insoutenable pour être crue, comme la vente de poupées sexuelles à l’apparence enfantine par les géants du e-commerce, nous conduit à espérer la fake news.
La rumeur, le canular et l’intox font partie des pratiques humaines depuis la nuit des temps. Les plateformes de réseaux sociaux, les messageries instantanées et autres instruments du web 2.0. leur donnent une force de frappe autrement plus puissante. Et leur accordent un pouvoir inédit dans l’histoire de l’humanité, celui de déstabiliser les sociétés.
La généralisation des intelligences artificielles génératives amplifie ce pouvoir. Couche de fake news supplémentaire, ces logiciels, conçus pour produire à l’infini du texte et des images, éveillent aussi nos doutes ou trompent notre vigilance. Où se niche le réel ? La question se fait tous les jours plus pres-sante. Illustration la plus récente de cette urgence : l’exemple de « Grokipedia », le dictionnaire universel nourri par l’IA gen conçu sous l’égide d’Elon Musk qui propose une vision du monde marquée par l’idéologie raciste de son propriétaire et dont la mé-thodologie est l’exact inverse de Wikipédia et son approche de vérification collective.

Réponse rapide

La tendance, aujourd’hui, est pourtant de se précipiter pour vérifier auprès des intelligences artificielles la véracité de telle ou telle info, alors qu’elles n’ont pas été conçues pour être des moteurs de recherche, en-core moins des vérificateurs de faits. Mais elles pré-sentent une attractivité parce qu’elles satisfont au besoin moderne d’une réponse rapide et sans effort. C’est sur cette notion d’effort que nous devons nous attarder. La lutte, collective et individuelle, contre la désinformation ne se mène pas facilement. Le fact-checking demande un effort, car il implique de vérifier plusieurs sources et de resituer l’information dans son contexte global. La connaissance et la capacité à décrypter les différents niveaux de discours et de langage, pour en débusquer les non-dits, ne sont pas non plus innés. Et cela, alors qu’il n’est pas suffisamment enseigné à l’école, car une critique excessive peut être mal perçue par l’institution. Pourtant la vulgarisation de la « tech literacy » reste la meilleure façon de contrer, pour les plus jeunes comme les plus âgé·es, la désinformation. Chacun·e peut y prendre sa part, en partageant des ressources, en veillant à ne pas propager d’info non vérifiée. Les réseaux informels, familiaux mais aussi professionnels, sont un canal de diffusion de fausses nouvelles, parfois. Ils peuvent, à l’inverse, propager du fact-checking et du debunk de fake news.

Connaître ses limites

Sur un plan collectif, toujours, la réglementation des plateformes, leur transparence et leur modé-ration, qui ne semblent malheureusement plus en tête des priorités, est une nécessité à défendre. Mais un combat difficile, dans une ère où les plate-formes de réseaux sociaux ont rompu avec l’idée de toute régulation et mènent une guérilla contre les lois européennes, les seules au monde à un tant soit peu les réfréner.
Et sur le plan individuel, gardons en tête le vieux conseil de Socrate  : « Connais-toi toi-même. » Se questionner sur les raisons de l’addiction aux ou-tils numériques et ce que cela génère en nous, connaître ses limites est une dimension cruciale de la démarche critique.
Et en gardant toujours à l’esprit qu’au fond, nous sommes tous·tes vulnérables face à la puissance émotionnelle d’un récit bien ficelé. L’esprit cri-tique, c’est moins une posture qu’un entraînement collectif.

LES CONSEILS DU TECH CLUB POUR AIGUISER SON SENS CRITIQUE

POUR VÉRIFIER UNE INFORMATION PRÉCISE :

• Faire le tour des rubriques spéciali-sées dans le fact-checking des médias généralistes  : l’AFP, France Info, Le Monde, Libération.

• Se former à l’approche critique des médias et autour de l’esprit critique, par exemple avec le cycle de confé-rences de la Sorbonne, accessible en ligne, « développer son esprit critique face au monde de la désinformation », proposé par le sociologue Gérald Bronner.

• Utiliser une méthode de questionne-ment inspirée du QQOQCP (Qui ? Quoi ? Où ? Quand ? Comment ? Pourquoi ?)

QUAND : Quelle est la date de l’article ou de la vidéo ? Est-ce encore d’actualité ?
QUI  : Qui a écrit ou produit le contenu ? Est-ce une source fiable ? Est-ce un montage ou une IA ?
OÙ : Sur quel média est-ce publié ? Est-ce relayé par d’autres médias crédibles ?
QUOI : Quel est le sujet ? Quel est l’objectif du message ?
COMMENT : Quel est le ton employé ? Sen-sationnaliste, neutre, ironique ? Com-ment l’information est-elle relayée ? Par qui ? POURQUOI : Dans quel but ce contenu a-t-il été diffusé ?

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