Redirection écologique : les designers en première ligne
Entre l’entreprise et le consommateur, les designers ne sont-ils pas les mieux placés pour imaginer de nouveaux usages soutenables ?
Nous sommes convaincus que la redirection écologique des modèles peut s’accélérer avec l’appui des designers. Qui de mieux placés au sein des entreprises pour aider à repenser leurs modèles économiques dans une voie soutenable pour le vivant et la planète ? Des modèles qui doivent être
redirigés en prenant en compte les limites planétaires et le plancher social, en suivant une stratégie net zéro et en étant guidés par les principes du vivant comme l’interdépendance des écosystèmes, la diversité et la création de valeur écosystémique (le triptyque planète, vivant, entreprise). Si cela peut paraître simple sur le papier, la réalité du terrain est plus délicate et les expérimentations nous montrent la difficulté de trouver un modèle économique qui prend en compte notamment les enjeux de prix, de compétitivité, de coûts logistiques et le paradoxe des consommateurs, qui ont l’intention de changer, mais n’ont toujours pas pivoté dans leurs usages. L’avantage : ces expériences sont utiles aux designers pour innover et participer à ce changement d’échelle d’une chaîne de valeur à transformer en profondeur, que ce soit sur le design des produits, la transition des fournisseurs, les nouveaux modes de distribution et l’accès à la donnée. En commençant par l’un des piliers de la redirection : l’écoconception.
Les designers tournés vers l’avenir excellent dans ce domaine puisque, par le design, ils peuvent intégrer ces enjeux dès la conception des nouveaux modèles à impacts positifs : moins énergivores, circuits circulaires et préservation des ressources qui représentent les nouvelles clés de succès. Dès les années 90, l’entreprise américaine Interface a parié sur cette stratégie de conception de produits durables, en intégrant dans son processus de production un équipement de coupe par ultrasons qui permet de réduire de 80 % les déchets excédentaires, mais aussi en imaginant une nouvelle dalle de moquette permettant d’utiliser 50 % de fil en moins. L’entreprise s’est aussi lancée dans une démarche novatrice de microproduction d’énergie durable pour ses propres besoins. Depuis 2013, l’entreprise néerlandaise Fairphone est aussi emblématique de cette nouvelle ère : elle conçoit son modèle autour de smartphones durables en réduisant les impacts matériels, l’utilisation des ressources et en redistribuant la valeur à contre-courant des standards des grands constructeurs et éditeurs, guidés par l’obsolescence programmée.
Réduction des empreintes écologiques
Parallèlement, la symbiose industrielle, largement inspirée d’une pensée systémique chère aux designers, permet de transformer les modèles d’organisations et créer des coopérations. La symbiose industrielle de Kalundborg, démarrée en 1961 au Danemark, permet d’échanger des matériaux, eau et énergie entre les entreprises – réduisant les déchets et les coûts –, mais aussi de créer des projets innovants, telle la valorisation de sous-produits industriels, en bioéthanol par exemple. Le projet implique également la communauté locale dans la planification afin d’étendre au mieux la création de valeur. Autre illustration : la démarche CLES du Port de Strasbourg, lancée en 2013 qui réunit 29 entreprises et a généré 18 synergies actives, notamment dans la valorisation énergétique des déchets du bois, la mutualisation de la réparation des palettes en bois et l’autoconsommation, via des panneaux photovoltaïques. Ces initiatives se traduisent par des économies d’échelle et une réduction des empreintes écologiques pour les entreprises participantes.
Enfin, l’adaptation des modes de distribution et de commercialisation représente le dernier pilier de la redirection. En adaptant leurs chaînes d’approvisionnement pour les rendre plus locales et transparentes, à l’image d’Ecover ou Numi Organic Tea, les entreprises, guidées par l’ingéniosité des designers, renforcent leur résilience tout en réduisant leur empreinte environnementale. Côté commercialisation, de l’abonnement à un prix « juste », de nombreuses stratégies peuvent être les nouvelles alliées de la redirection. L’entreprise à mission True Price mesure et analyse ainsi les coûts environnementaux et sociaux cachés associés à la production de biens et de services, permettant aux entreprises de mieux comprendre et de rendre compte de leur impact sur la durabilité. Aux Pays-Bas, la chaîne de supermarchés Albert Heijn expérimente dans plusieurs de ses enseignes l’affichage de deux prix au passage en caisse : le prix « normal/habituel » et le prix « réel » mesurés par True Price, pour sensibiliser le consommateur et l’inviter à faire des choix durables.
À chaque étape du processus créatif, les designers intègrent ces principes vertueux et participent, aux côtés de toutes les autres fonctions de l’entreprise, à la construction de modèles économiques, des produits et services, de leur distribution à leur commercialisation. Les designers doivent participer à ce rôle catalyseur de la redirection écologique ; ce sont les mieux placés, entre l’entreprise et les aspérités des consommateurs, pour créer les nouveaux usages soutenables. Aux entreprises qui auront aussi besoin de choix forts des pouvoirs publics de s’assurer ensuite que ces nouveaux écosystèmes – production durable, réparabilité, économie circulaire… – puissent passer à une autre échelle.
À propos de notre partenaire
Ces « murmures de l’innovation » veilleront à décrypter, numéro après numéro, les signaux faibles du numérique avec EY Fabernovel, l’agence d’innovation, expert de la transformation stratégique et de la création de produits et de services innovants.
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