Comment analysez-vous le fait que l’égalité dans les métiers de la tech prenne autant de temps ?

Quand on fait le bilan des actions entreprises ces dernières années, on constate du positif et du négatif. Beaucoup d’initiatives travaillent sur l’écosystème. Grâce à elles, le sujet est toujours à l’ordre du jour. Il y a eu aussi une impulsion politique notable, la loi « Rixain », votée en 2021 et qui vise 30 % de femmes chez les cadres et dans les instances dirigeantes des entreprises de plus de 1 000 salariés. Dans les grandes entreprises, il faut s’assurer de la représentation des femmes afin d’avoir un métissage des points de vue.

Cette année, pour la cinquième année consécutive, nous accompagnons autant de start-up fondées par les femmes que par les hommes, dans l’accélérateur French IoT. J’assiste à des réunions désormais plus mixtes et je ressens une véritable attention à ça. S’assurer de la parité devient même un réflexe, quand il y a des prises de parole en table ronde ou des signatures. Quand l’équilibre n’est pas là, ça devient presque choquant.

Ce sont des avancées notables et très importantes, parce que, pour que le monde de demain avance, pour qu’on crée de la valeur, pour qu’on invente de nouvelles solutions et pour construire un numérique responsable, il faut que les femmes se fassent entendre dans les lieux de pouvoir et de décision.

Ceci dit, ce changement qu’on perçoit, il se surveille. Il existe encore des résistances. Certaines remarques continuent de fuser… Mais aujourd’hui, les femmes n’hésitent plus à réagir.

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En dépit des avancées que vous décrivez, le nombre de filles dans les filières scientifiques est toujours aussi faible…

Tout le monde parle de la pénurie des talents dans le numérique. Pourquoi se priver de 50 % de talents potentiels alors que nous en manquons tant ? Et cela ne risque pas de s’arranger ! On constate une régression très rapide ces dernières années du nombre de filles s’engageant dans les filières scientifiques au lycée, après la récente reconfiguration du bac. Nous sommes en train de creuser encore notre retard. Cet écart se creuse aussi dans les grandes écoles. Des étudiantes abandonnent parce qu’elles évoluent là dans un environnement extrêmement genré et qu’il leur est parfois difficile de continuer.

C’est pour cela que je suis si fière du travail que nous entreprenons sur l’orientation des jeunes filles à la fondation Femmes@Numérique. Ça va avoir une influence ! Mais il ne s’agit pas seulement d’attirer vers les filières scientifiques. Moi-même, je ne suis pas ingénieure. On peut faire une carrière dans le numérique, sans avoir de diplôme scientifique. Il faut aussi casser ce stéréotype.

Au-delà de la formation initiale, nous devons aussi agir au moment des reconversions professionnelles. C’est pour cette raison que chez Docaposte Institute, nous accordons une attention particulière à la formation des femmes dans ces filières. D’abord parce que c’est là que se façonnent les services de demain, qui doivent aussi être imaginés par des femmes. Et aussi parce que ce sont des postes rémunérateurs. Or, il est très important que les femmes soient autonomes sur le plan financier.

« Au démarrage de l’entreprise, on observe une égalité des candidats. Et puis, au bout de cinq ou six ans, une partie des femmes laisse tomber. Elles passent les rênes à un associé. (…) Un poids culturel pèse sur les femmes. On leur rappelle qu’elles doivent s’occuper de leur famille plutôt que de penser à leur entreprise. »

L’orientation est un élément fondamental. Mais comment aussi lever les freins tout au long de la carrière ?

Je constate aussi malheureusement l’abandon des femmes, une fois entrées dans le monde professionnel. Elles refusent une promotion, elles ne vont pas vers tels ou tels postes, elles arrêtent parce qu’elles ont la charge de la famille.

C’est très marquant au sein de notre accélérateur de start-up. Au démarrage de l’entreprise, on observe une égalité des candidats. Et puis, au bout de cinq ou six ans, une partie des femmes laisse tomber. Elles passent les rênes à un associé.

J’ai encore le sentiment que quand ça devient sérieux, quand ça passe à une autre échelle, ce n’est pas à une femme de prendre en charge.

Un poids culturel pèse sur les femmes. On leur rappelle qu’elles doivent s’occuper de leur famille plutôt que de penser à leur entreprise. Elles n’ont pourtant pas besoin qu’on leur rappelle leurs charges mentales multiples. Si ce n’est les culpabiliser, cela ne sert à rien.

On pourrait imaginer des initiatives légales pour construire des équipes mixtes chez les financeurs quelle que soit leur taille. Et ce, afin que tous les dossiers soient examinés avec bienveillance.

Et puis, cela n’engage que moi, mais cette atmosphère pesante ne concerne pas que le monde du travail. Je suis surprise et en colère parce que les femmes continuent à se faire harceler. Pour contrer le cyberharcèlement, les seuls conseils que j’ai vus passer consistent à conseiller aux femmes d’arrêter de partager des photos d’elles. On travaille sur l’entrée des femmes dans la tech mais, en parallèle, on les invisibilise sur les réseaux sociaux, pour les protéger ! Il faut arrêter de faire peser la culpabilité sur les victimes et sanctionner les mauvais comportements.