À l'écoute

Pourquoi Orange, la célèbre entreprise de téléphonie mobile, s’intéresse-t-elle à la reconnaissance vocale ?

Orange développe une relation forte avec ses clients, et ce lien passe en grande partie par les interactions vocales. L’objectif est de répondre mieux aux attentes clients, quels que soient l’heure, le jour de la semaine ou encore le pays. Nous sommes une entreprise présente à l’international dans un certain nombre de pays en Europe, mais aussi en Afrique et au Moyen-Orient. D’où l’intérêt de travailler avec des algorithmes d’intelligence artificielle qui automatisent un certain nombre d’actions, comme répondre à une demande 7 jours sur 7, 24h sur 24, et capables de comprendre les voix de nos clients, dans toute leur diversité. Aujourd’hui, nous gérons des langues comme l’anglais, le français, l’espagnol, le polonais, le roumain mais aussi des langues subsahariennes, comme le wolof, qui est très parlée au Sénégal, où Orange est bien implanté.

Qu’est-ce qui vous a amenée à vous intéresser à l’intelligence artificielle ?

Depuis toute petite, je suis fascinée par les technologies. Je me rappelle quand j’avais 5 ans, j’ai eu un talkie-walkie pour mon anniversaire. J’ai adoré cet objet qui rendait la communication à distance magique, la technologie était magique. J’ai toujours gardé cette appétence pour les matières scientifiques, les mathématiques, la physique, c’est ce qui m’a amenée à faire des études d’ingénieure. Puis j’ai découvert l’intelligence artificielle dans le cadre de ma thèse de doctorat, en travaillant sur la reconnaissance de texte dans les images. Grâce aux algorithmes de deep learning, on peut par exemple reconnaître sur une photo le texte d’un menu et le traduire dans une autre langue. J’ai trouvé passionnante et fascinante cette capacité d’apprendre à une machine à reproduire certains comportements humains avec un niveau de précision bluffant, des résultats très pertinents et des perspectives d’application très larges.

Comment expliquer avec des mots simples ce qu’est l’IA ?

C’est un peu comme un parent avec son enfant ou un élève et son professeur qui va lui apprendre à lire et à écrire. On va présenter à l’enfant des images et lui indiquer
qu’il s’agit d’un chien ou d’un chat. Progressivement, l’enfant va apprendre à reconnaître le bon animal. Notre métier consiste à guider l’intelligence artificielle pendant cette phase d’apprentissage comme un tuteur, on va lui apprendre à faire une tâche, tout en veillant à ne pas produire de biais.

Les algorithmes que vous développez sont-ils confrontés aux biais ?

Absolument. Dans le domaine de la reconnaissance vocale, la question des accents régionaux est cruciale. Si notre service client doit écouter une personne s’exprimant en français avec un accent africain, c’est important que l’intelligence artificielle et les modèles qu’on met en place soient capables de reconnaître cette variabilité linguistique, et de rester aussi performant sur ce type de profil que, par exemple, sur quelqu’un ayant un accent du sud ou du nord de la France. Il est de notre responsabilité, à nous, experts et expertes qui travaillons sur l’intelligence artificielle, de prendre en compte toutes ces questions en amont pour proposer une intelligence artificielle inclusive, mais aussi éthique, en prenant en considération la propriété des données et le respect de leur anonymisation. L’intelligence artificielle doit aussi être davantage responsable. Nous devons avoir une meilleure maîtrise de la consommation énergétique du stockage des données et des entraînements des algorithmes, grâce à des outils de mesure et des approches de réduction de complexité. La problématique est que l’intelligence artificielle a besoin de beaucoup de données pour être performante. Heureusement, il existe des façons de rationaliser sans perdre en performance, par exemple en mutualisant ces données entre plusieurs projets ou plusieurs équipes.

Une intelligence artificielle inclusive passe aussi par des équipes mixtes, n’est-ce pas là aussi que le bât blesse ?

Clairement, l’intelligence artificielle a besoin des femmes. La mixité des équipes est fondamentale, notamment pour limiter les biais de genre. Les femmes ne sont pas assez nombreuses. Pourtant les atouts sont là : dans l’intelligence artificielle, on ne s’ennuie pas, il y a toujours de l’innovation, de nouveaux challenges, on peut travailler dans n’importe quel domaine, du sport à la beauté, en passant par la santé, l’aviation, la défense, la cybersécurité. L’IA s’est démocratisée, elle infuse tous les secteurs, ce qui est un avantage certain dans sa carrière. Cela permet de changer d’entreprise, de projet, de domaine facilement. Sans compter que les profils sont très recherchés, les entreprises ont un vrai besoin de compétences dans ce domaine.