Bientôt à l’écoute

Comment vous êtes-vous retrouvé à travailler sur une lettre rédigée par Charles Quint à l'ambassadeur de France ?

Je suis arrivé sur ce projet en cours de route. À l’origine, c’est ma collègue Cécile Pierrot, également chercheuse à l’Inria, qui a entendu parler de cette lettre chiffrée et qui a fini par la localiser dans la bibliothèque Stanislas, à Nancy.

Elle ressemble à une copie double repliée, avec trois pages de texte chiffrées, et est signée par Charles Quint. La déchiffrer a été plus compliqué que prévu et Pierrick Gaudry, chercheur en informatique au CNRS et moi-même, avons prêté main forte au projet. Mais, au bout de six mois, nous étions toujours bloqués sur ce texte vieux de près de 500 ans.

Comment avez-vous débloqué la situation ?

Nous avons fait appel à Camille Desenclos, une historienne spécialiste de la cryptographie de l’époque de Charles Quint. Elle a trouvé d’autres lettres rédigées par Jean de Saint-Mauris, ambassadeur de Charles Quint en France, destinataire de la lettre cryptée.

Par bonheur, ces lettres étaient chiffrées avec le même système et comportaient parfois dans leurs marges des morceaux décodés du texte. En faisant correspondre le texte chiffré et le texte en clair, nous avons pu reconstituer la clé de chiffrement de la fameuse lettre de Charles Quint.

On n’aurait pas pu comprendre le sens de la lettre sans l’aide d’une historienne.
Paul Zimmermann, docteur en informatique

Quelle importance revêt le contenu de cette lettre d'un point de vue historique ?

Au fur et à mesure du déchiffrement, cette lettre a révélé des faits inédits. Elle a donné des détails sur la guerre qui opposait Charles Quint à François Ier et qui stagnait du côté du Piémont, en Italie, mais également sur des conflits internes à l’Empire.

Surtout, il y est question d’une rumeur d’assassinat, fomenté par un certain Pierre Strozzi avec l’aval du roi de France, à l’encontre de Charles Quint. C’est la première fois que les historiens en entendent parler.

Par quoi le déchiffrement a-t-il été rendu difficile ?

Même si les techniques de cryptographie du XVIe siècle étaient plus rudimentaires qu’aujourd’hui, elles n’en demeuraient pas moins astucieuses. Nous avons dénombré 120 symboles dans la missive, alors que l’alphabet français compte 26 lettres : chaque lettre peut donc être codée par deux à quatre symboles différents.

Cette technique empêche de comparer la fréquence de certaines lettres – par exemple la lettre e apparaît en moyenne dans un caractère sur six en français – avec celle des symboles de la lettre cryptée. Une autre astuce nous a également bloqués. Des symboles complexes composés d’un caractère et d’un point servaient à coder une consonne suivie d’une voyelle : résultat, les voyelles étaient cachées dans le texte.

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En quoi l’interdisciplinarité vous a-t-elle aidé dans vos découvertes ?

On n’aurait pas pu comprendre le sens de la lettre sans l’aide d’une historienne. Nous trois, les informaticiens, nous testions nos hypothèses à l’aide de petits programmes en langage Python grâce auxquels on tentait de retrouver la signification de chaque symbole. Mais nous avions souvent besoin d’aide pour les interpréter.

Par exemple, une phrase indiquait la mort d’un roi. La lettre est datée de février 1546, or il n’y a aucun roi mort à cette date. Finalement Camille Desenclos a trouvé la solution grâce à ses connaissances historiques : à cette époque, le calendrier commençait à Pâques, donc, dans notre calendrier actuel la lettre est bien de 1547. Et effectivement, le roi d’Angleterre venait de mourir à cette date. Le pur déchiffrement informatique ne permettait pas de bien comprendre les détails de la lettre. Cela donne envie de continuer à travailler sur d’autres projets multidisciplinaires.

La clé de chiffrement que vous avez mise à jour vous a-t-elle permis de déchiffrer d’autres textes historiques ?

Cette clé de chiffrement est liée à Jean de Saint-Mauris. On s’est rendu compte qu’il l’a utilisée pour écrire à six personnes différentes sur une durée de quatre ans. C’est amusant car c’est une pratique qu’on ne recommanderait pas aujourd’hui. Elle est contraire aux standards actuels.

Qu’est-ce que ces standards préconisent ?

Dans le système RSA, utilisé actuellement, on recommande d’utiliser des clés de chiffrement de 2048 bits, c’est-à-dire une suite de 2048 « 0 » ou « 1 ». C’est assez robuste pour une durée de cinq à dix ans suivant l’usage que l’on veut en faire. Au-delà de cette durée, les techniques cryptographiques évoluent trop vite pour garantir que la clé de chiffrement ne sera pas craquée.

Mais il existe un autre champ de recherche, la cryptographie post quantique, dont les résultats devraient permettre aux algorithmes de cryptage de résister à la puissance de calcul d’un ordinateur quantique (un ordinateur quantique est capable de réaliser des calculs hors de portée d’un ordinateur classique, N.D.L.R.).

Cet article a été réalisé dans le cadre d’un partenariat avec l’Inria.