Muriel Barnéoud : « Créer un digital respectueux du consentement »
Transition écologique, cohésion sociale, numérique éthique… Quelle contribution peut apporter un grand groupe historique comme La Poste aux évolutions de notre société ? Éclairage avec Muriel Barnéoud, directrice de l’engagement sociétal de La Poste.
La Poste est devenue en juillet dernier une « entreprise à mission ». Pourquoi ce choix et qu’est- ce que cela change pour le Groupe ?
Cela ne change rien, au sens où les notions d’intérêt général et de responsabilité sont inscrites dans notre ADN depuis longtemps. En 2010, lorsque nous avons pris le statut de société anonyme, nous avons d’ailleurs inscrit nos quatre missions de service public dans nos statuts. Mais aussi, cela change tout, parce que tout à coup, nous portons ces missions au travers d’une vision de la société plus large, vers laquelle converge l’ensemble des parties prenantes de La Poste. Notre mission porte sur le développement de la cohésion sociale et de la cohésion territoriale, la contribution à la transition énergétique et enfin, à l’avènement d’un numérique éthique, frugal et inclusif. Aujourd’hui avec le statut d’« entreprise à mission », nos missions de service public se retrouvent encapsulées dans une vision de la société qui, au fond, répond aux quatre grandes transitions — écologique, démographique, numérique et territoriale — que la société française traverse aujourd’hui.
On estime que 13 millions de Français·es sont éloigné·es du numérique. Comment un acteur comme La Poste peut-il lutter pour plus d’inclusion numérique ?
De par son maillage territorial et sa proximité avec les Français·es, La Poste dispose d’un très grand réseau d’identification de personnes en difficulté avec le numérique. Elles se voient proposer une formation dispensée par les conseiller·ères numériques de nos partenaires (Emmaüs Connect, SOS Numérique, la Croix-Rouge, etc.). Nous avons ainsi touché plus de 200 000 personnes en l’espace de quelques mois, en déroulant nos programmes dans près de 500 bureaux de poste, essentiellement en quartiers prioritaires de la politique de la ville. Nous avons aussi lancé la tablette Ardoiz, très simple d’usage, qui s’adresse aux seniors, un joli succès qui repose sur l’accompagne ment à la prise en main de l’outil par les chargé·es de clientèle et facteur·rices.
En quoi les maisons France Services sont- elles une réponse à la fracture numérique des territoires ?
Plus de 200 de nos bureaux sont labellisés France Services : c’est un guichet unique qui rapproche les services publics au plus près des citoyen·nes, en par- ticulier dans les zones rurales et les quartiers prioritaires, sur tout le territoire français. Grâce à un réseau de 4 000 conseiller·ères présent·es dans les maisons France Services, ces structures forment les publics à l’utilisation d’outils numériques pour favoriser l’inclusion numérique. Il donne aussi accès dans un seul et même lieu aux principaux organismes de services publics (Pôle emploi, la CAF, La Poste, etc.).
Qu’est-ce qu’un numérique éthique pour La Poste ?
Internet a été marqué par une sorte d’euphorie, des échanges débridés, une ambiance far west… Aujourd’hui, je pense que nous sommes davantage en recherche de lieux privés sur Internet. C’est notamment pour répondre à ces enjeux que La Poste a créé Docaposte, une structure née de l’idée de protéger la vie privée et de préserver les données personnelles. Docaposte est en fait l’exact opposé du précepte qui sévit sur Internet : « Quand c’est gratuit, c’est toi le produit. » À l’inverse, avec Docaposte, nos client·es paient justement pour qu’on protège leurs données. Cette filiale gère plus de 45 millions de dossiers pharmaceutiques, des ordonnances qui sont protégées dans une grande base de données sécurisée. C’est une belle réussite de digitalisation dans le domaine de la santé. Notre vision, c’est celle d’un digital respectueux du consentement, un digital qui vient en outil de la vie, et qui n’est pas en substitution de sa volonté, un digital qui est au service de l’être humain. C’est la vision d’un humain augmenté, non d’un humain inféodé.
L’un des grands enjeux, à l’heure où le dernier rapport du GIEC inquiète, c’est l’environnement. Peut-on être un acteur de la livraison tout en luttant contre le réchauffement climatique ?
Effectivement, le transport de marchandises est un fléau pour l’environnement. Environ 40 % des émissions de gaz à effet de serre dans les villes sont dues au transport de marchandises. Et ce chiffre ne fait qu’augmenter, on projette même un doublement des volumes de commerce à horizon 2030. Nous avons donc une responsabilité énorme, à laquelle nous apportons des réponses. En matière de décarbonation, La Poste dispose aujourd’hui de la plus grande flotte au monde de camionnettes et vélos électriques. Pour désengorger le trafic, nous mettons également en place une flotte de vélos cargos. Dans certaines grandes villes, dont Paris, Chronopost travaille exclusivement en mode décarboné, autrement dit sans aucun véhicule polluant. Pour ce qui est de l’optimisation logistique et de la rationalisation du trafic, nous proposons à nos client·es un service de livraison mutualisée en centre-ville : leurs camions déposent les marchandises dans notre hub à l’extérieur de la ville, et nous nous chargeons de la livraison du dernier kilomètre pour leur compte. La livraison à domicile n’est pas près de s’arrêter, il faut donc opter pour la mutualisation. Sinon, nous allons étouffer nos villes.