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20 % des énergies renouvelables nationales, c’est ce que produit aujourd’hui l’agriculture française. L’usage énergétique des terres agricoles, c’est-à-dire consacrées à l’origine à la culture ou à l’élevage, est donc déjà une réalité !

Par usage énergétique, il faut entendre la production d’énergie à des fins de consommation sous forme d’électricité, de carburant, de gaz ou de chaleur : elle se traduit aujourd’hui par la thermochimie, le photovoltaïque, l’éolien, mais aussi par la méthanisation, qui consiste à produire du biogaz via un digesteur, à partir des effluents de l’élevage ou des résidus de cultures alimentaires. Sans oublier, bien sûr, les biocarburants, appelés aussi agrocarburants.

L’agriculture française en position stratégique

Dans ce tableau, la part de la France n’est pas négligeable : premier producteur européen d’agrocarburants de première génération (à partir de matières premières dédiées, à l’origine, à l’alimentation humaine ou animale, comme l’huile, le maïs et le sucre), le pays produit 1,5 % de la production mondiale de bioéthanol, 10,6 % de celle de biodiesel, le tout ayant généré en 2016, 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires. À l’échelle de la France, la contribution de l’agriculture aux autres énergies renouvelables est également importante : 83 % du parc éolien et 13 % du parc photovoltaïque français sont situés en zone rurale.

Avec notamment l’objectif de monter à 32 % de la consommation d’énergie globale nationale la part des énergies renouvelables d’ici 2030, l’agriculture française se retrouve au cœur d’enjeux stratégiques. De fait, elle gère plus de 50 % des surfaces susceptibles d’accueillir des systèmes de production d’énergie renouvelable.

Sécurité alimentaire et gaz à effets de serre

Mais il serait simpliste de voir l’agriculture comme la solution miracle au problème climatique. De fait, la production d’énergie par les terres agricoles entre en concurrence avec les productions destinées à nourrir humains et animaux. Si des pays du Sud sont tentés de développer des cultures destinées à répondre aux colossaux besoins en énergie des pays occidentaux, notamment européens, ce sera au détriment de leur sécurité alimentaire.

L’efficacité des agrocarburants de première génération sur la réduction des gaz à effet de serre (GES) est par ailleurs remise en cause, notamment parce que l’énergie nécessaire pour les produire, elle-même responsable de l’émission de GES, est trop importante. À titre d’exemple, en France, l’agriculture dans son ensemble contribue déjà aux émissions de GES à hauteur de 21 % !

Des carburants de deuxième génération existent, mais sont encore insuffisamment développés. Le principe ici est d’obtenir du carburant à partir de tous les déchets issus de l’agriculture telles que la paille, la tige, etc. Une façon de diminuer au passage la concurrence directe entre culture alimentaire et énergétique. Mais la production d’agrocarburants de deuxième génération est consommatrice de terres et d’eau.

Prioriser l’usage des terres

Les années qui viennent seront ainsi décisives dans la recherche d’un équilibre entre les différentes demandes qui pèsent sur l’agriculture. Et elles sont nombreuses : diversification de l’approvisionnement énergétique, neutralité carbone (par la baisse des GES, mais aussi, car les terres agricoles ont une capacité à stocker le CO2), sécurité alimentaire et sanitaire (alimentation de qualité), préservation de la biodiversité, affirmation de la souveraineté alimentaire (qui réduit le risque de conflit).

Prioriser l’usage des terres agricoles devient dès lors une nécessité, pour arbitrer entre production alimentaire et énergétique, mais aussi entre les types d’énergies « vertes ». La multiplicité des indicateurs de consommation d’énergie existants ne rend pas cette tâche simple. Par ailleurs, les usages de la biomasse, c’est-à-dire l’ensemble des matières organiques pouvant se transformer en énergie, doivent être optimisés. En effet, si les besoins actuels en pétroledevaient être couverts par des énergies produites par l’agriculture, il faudrait consacrer toutes les terres agricoles à l’énergie !!

À l’échelle des exploitations, ces contraintes aboutissent à un paradoxe : la réduction de l’usage du pétrole et de ses dérivés (engrais par exemple) pèse fortement sur le rendement. Il devient alors difficile de demander aux terres de produire une énergie excédentaire quand le changement de pratiques bouleverse d’abord le rendement des cultures ! Si l’agriculteur doit lui-même devenir autonome pour sa consommation d’énergie, une profonde transformation des pratiques doit intervenir, impensable sans accompagnement.

Des acteurs multiples

Le jeu des acteurs reste complexe. Au niveau national, les énergies renouvelables représentent un secteur encore mouvant, soumis à de nombreux lobbies (huile de palme, bioéthanol), freinant ainsi le développement des agrocarburants de deuxième génération. Présenter la production d’énergies renouvelables comme un complément de revenus pour les agriculteurs est souvent un trompe-l’œil, cela ne fonctionnant que pour des exploitations économiquement solides. Au niveau européen et international, les politiques sont par ailleurs trop disparates sur la prise en compte de la production d’énergie par l’agriculture.

Très critiqués et isolés dans la société, les agriculteurs se retrouvent de leur côté souvent privés de marge de manœuvre, les aides étant conditionnées à de nombreuses obligations. À la merci de pressions financières, ils ont du mal à être acteurs de cette transformation professionnelle et culturelle à venir.

Progresser de façon systémique

Étant donné l’imbrication de ces différents enjeux, seule une approche systémique peut apporter des solutions. Dans le détail, différentes pistes doivent être exploitées. D’abord, renforcer le lien entre les scientifiques et les agriculteurs, afin d’améliorer l’appropriation des technologies, et de valider leur pertinence. Un décloisonnement des différentes disciplines scientifiques permettrait ensuite de produire de meilleurs indicateurs. En outre, la création d’une communauté internationale structurée au carrefour de l’agriculture et de l’énergie apparaît comme urgente.

Plus concrètement, la réforme à venir de la politique agricole commune (PAC) européenne pourrait apporter des réponses en terme « d’énergieculture », notamment en accompagnant, dans le respect des logiques locales, les agriculteurs qui se lancent dans cette transformation. Faire travailler ensemble agronomes, économistes, sociologues, agriculteurs et citoyens est également un objectif.

Autant d’actions  qui seront d’autant plus efficace si  les acteurs définissent un cadre de gouvernance et une charte de valeurs communs, pour éviter les effets pervers sur l’environnement, la santé humaine et le bien-être animal.

 

Article réalisé avec l’appui du rapport « Les usages énergétiques des terres agricoles : cultiver l’énergie au xxie siècle ? », de la promotion Wangari Maathai — cycle national 2019 – 2020 de l’IHEST.