Copie non conforme

Clique, clique, récupère la facture, écris le mail, ajoute jeanpaul@entreprise37.com aux destinataires, le pdf en pièce jointe, vérifie rapidement qu’aucune coquille ne s’est glissée dans le texte. Clique. Message envoyé. Un de plus.

Le vendredi, c’est tâches administratives, et ce vendredi-ci, Amélie a un paquet de documents à classer, de dossiers à monter, de prises de contact via des plateformes absconses à écluser avant de pouvoir crier victoire.

L’appel des images animées résonne en elle comme le chant des sirènes. Mais aucun lien n’attache Amélie au mât du vaisseau de ses obligations. Clique. La fenêtre de réseaux sociaux cachée derrière celle des occupations sérieuses repasse au premier plan.

Une photo de ramen, dont le bouillon et les pâtes mordorées ont de quoi faire saliver, c’est Anita qui vit sa meilleure vie au Japon. Clique. La vidéo d’une femme, devant sa voiture abîmée. En légende, on lui demande « comment as-tu fait pour ne pas entendre » le raclement rocailleux que le moteur abîmé crache maintenant dans les amplis métalliques de l’ordinateur. Cut. Au volant de l’engin, la même femme chante I Will Always Love You à pleins poumons, enceintes montées à fond. Clique. Vidéo suivante. Clique. Vidéo suivante. Nafi a encore republié une sélection de clips de haute voltige. Si elle n’y prête pas attention, Amélie pourrait perdre des heures dans la seule absorption de ces images de chats accompagnant la prières d’une poignée d’hommes en gandouras marocaines, de danseurs coréens invitant leur public à « aller au lit » sur une chanson et une danse bien trop entêtantes pour endormir quiconque, et de petits chats kawaii revisitant les plus grands tubes de la french touch d’une voix mi-enfantine, mi-synthétique.