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Lobotomy-chic

A toutes celles et ceux qui cherchent les nouvelles tendances de la coolitude sur Instagram, cette chronique anti duck face fashion faux pas est faite pour vous. Et avec un soupçon de féminisme, s’il vous plaît !

La mode ça va ça vient, et ça nous surprend toujours. Aujourd’hui ça se passe bien évidemment Outre Atlantique où sévit la dernière tendance de la « lobotomy-chic ».

Rien à voir avec les mauvais traitements infligés aux patient·es dans les hôpitaux psychiatriques façon Vol au-dessus d’un nid de coucou. Non, la lobotomy-chic c’est une esthétique adoptée par certaines influenceuses consistant à prendre une pose volontairement apathique, sans extraversion, censée porter leurs selfies au sommet de la coolitude.

Cette attitude a même un nom : on l’appelle la moue dissociative, un concept très répandu sur Tik et Tok notamment, et dont l’ actrice Chloé Cherry est devenue l’égérie.

Sur les selfies qu’elle poste sur son compte Instagram, on observe souvent le même regard qui marie nonchalance et langueur, les lèvres légèrement boudeuses à peine entr’ouvertes qui donne à son visage un air négligé mais chic, dépravé mais savamment travaillé qui semble plaire à sa communauté de plus d’ 1 million d’abonnés. Alors évidemment, le style grunge/désordonné n’est pas nouveau, c’est une réminiscence des années 90/2000, mais, ni Kate Moss ni Pete Doherty ne prenaient de selfies à l’époque !

Une explication féministe ?

Et c’est là que ça devient intéressant, puisque la moue dissociative reflèterait ce que l’autrice américaine Emmeline Clein décrivait déjà en 2019 comme un « changement de l’éthique féministe prédominante ».

Je m’explique : au-début des années 2010, la mode était plutôt au selfie « duckface » : qui n’a jamais vu son fil facebook envahie par ces mimiques consistant à serrer et avancer les lèvres et à creuser les joues en donnant l’impression que la personne est en train de se regarder dans un miroir ?

Comme l’explique la journaliste canadienne Rayne Fisher-Quann, le but d’un duckface selfie était sans ambages, assumé, explicite dans sa performance.

Le but de la moue dissociative (dissociative pout) est au contraire d’afficher un détachement ironique vis-à-vis de sa propre image, tout en forçant le trait sur les mêmes parties du visage : des lèvres et des yeux lascifs. Et c’est en cela que l’éthique féministe, selon Emmeline Clein, serait devenu une éthique de la méta-ironie, de l’ennui affecté et du détachement. En clair, la femme qui utilise la moue dissociative sur les réseaux sociaux tient toujours à son image mais sait qu’il n’y a rien de sexy à trop y faire attention non plus.

Au-delà de Chloe Cherry, la tendance se retrouve sur les comptes de nombreuses microcélébrités de Tik Tok mais aussi, selon un journaliste du magazine musical Pitchfork, dans tout un tas de genres musicaux. Depuis le post-punk britannique au rap West Coast américain, il liste les artistes qui expriment ce que la chanteuse Florence Shaw résume en une phrase : « Do everything and feel nothing ».

Et pour lui, l’origine de ce phénomène est à mettre sur le dos de l’ambiance morose de l’époque : entre crise sanitaire, catastrophes écologiques et manque de boussole politique, certain·e·s protègent leurs affects… en n’exprimant plus d’affects.

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