Le numérique était déjà partout autour de nous, au travail. La digitalisation de nos missions est entamée depuis longtemps. Mais la situation sanitaire, les confinements et la généralisation accélérée du télétravail ont donné à cette avancée du numérique une dimension extraordinaire. De ce moment très en dehors de nos ordinaires, nous commençons à tirer quelques leçons. Et, déjà, au sujet de ce que nous ne voulons pas. Nous pouvons commencer à faire des choix. En toute conscience, parce que nous avons toutes et tous fait l’objet de cette expérimentation sociale inédite du travail dématérialisé. Nous savons comment le numérique peut constituer un palliatif efficace. Nous commençons à percevoir comment il peut devenir un véritable allié.

L’égalité prise dans le tourbillon numérique

La distance nous l’a fait ressentir physiquement : le collectif de travail se vit aussi de façon sensorielle et sensible. Nous ne pouvons pas nous couper de cette sensibilité. Cette certitude posée, il nous faut aussi rappeler les inégalités engendrées et renforcées par l’extension des pratiques numériques dans les entreprises. Un numérique omniprésent qui exclut une partie de la population. Avant d’imaginer que le télétravail généralisé devienne une habitude française, la fracture numérique
doit encore et toujours nous préoccuper. Autre fossé : les inégalités entre femmes et hommes, que le numérique au travail creuse encore. Le Covid nous a encore éloignés de l’objectif d’une parité des salaires. Il sera désormais atteint dans 135 ans, soit 36 ans de plus qu’avant la pandémie… Ce sont principalement les femmes qui ont supporté les conséquences des consignes de la crise sanitaire. Lors du premier confinement, la charge des doubles journées n’a pas été plus partagée, en dépit de la présence de tous les membres du foyer à la maison… La plus forte présence des technologies ne peut être pensée que dans la perspective d’une plus grande émancipation des femmes. Dans le quotidien de l’entreprise, l’égalité entre les travailleuses et les travailleurs ne doit pas être oubliée dans le tourbillon numérique. Notamment dans les
détails pratiques : la tenue de réunions en visio favorise-t-elle la prise de parole des collaboratrices ? Ou, au contraire, les dessert-elle ?

Nous réapproprier le temps

Les directions et les managers ne peuvent pas faire l’économie d’une réflexion sur les conséquences de l’utilisation d’outils numériques, toujours plus nombreux. Les femmes peuvent particulièrement en souffrir, mais tout le monde est exposé aux risques que fait courir une très forte porosité entre vie professionnelle et personnelle. Nous devons collectivement nous sortir des boucles WhatsApp qui grignotent notre temps à nous. Comment remettre des frontières, dans un monde qui n’en compte plus aucune ? Les outils numériques doivent nous permettre de nous réapproprier le temps. Pas nous en déposséder. C’est en premier la tâche des managers. Plus de télétravail
doit impliquer une formation renforcée sur le management à distance. Certain·es s’y sont essayé·es en totale improvisation, sentant que l’immatériel n’empêchait pas les relations humaines de s’entretenir. Ces bonnes pratiques doivent être promues dans toutes les entreprises. C’est le seul moyen de réduire le risque de burn-out, que les différents confinements et le travail à distance à temps complet ont fait exploser. Ce risque maîtrisé, la numérisation du travail pourra déployer ses conséquences positives. Et d’abord, l’imagination en matière d’organisation du travail qu’elle autorise. Pourquoi ne pas penser un télétravail encore plus adapté, flexible, à nos modes de vie ? Et créer des lieux ouverts sur le monde, pour se retrouver en équipes ? Cette réflexion ne peut s’envisager que collectivement. Pour que la numérisation du travail soit un outil de coopération avant tout. Muni·es de ces pistes communes, nous parviendrons ensemble à notre objectif à tou·te·s : (re) trouver du sens à ce qui occupe la plus claire partie de nos journées. Faire du travail notre outil d’émancipation.

Les membres du Club qui ont participé à cette tribune :

Laurent Alaus, Sandrine Delage, Elsa Grangier, Nathalie Hutter-Lardeau, Yann Mauchamp, Delphine Morandet-Thouviot, Laura Ricci, Julie Stein, Sabine Vu