SOBRIÉTÉ : le mot commence à émerger. À ne plus effrayer et provoquer des anathèmes. Timidement, sur le plan politique. Sérieusement, sur le plan scientifique. Le dernier rapport du GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat) nous l’indique : la baisse des émissions de gaz à effets de serre devra passer par la sobriété. Soit une réduction de notre consommation énergétique, et de notre consommation tout court. En dépit de ce que l’on peut entendre, cela ne signifie pas un « retour au Moyen Âge ». Mais une opportunité pour modifier nos façons de vivre, dans l’objectif de vivre mieux.

Les changements profonds de comportements qu’elle exige devront peut-être venir de la contrainte. Cette dernière peut être vertueuse, tels des travaux nécessaires à l’installation d’un tramway, dont les nuisances s’effacent quand apparaissent les avantages apportés par ce nouveau mode de transport. Cette contrainte, seule la politique peut l’imprimer, dans le cadre d’une délibération démocratique.

Redéfinir la croissance

D’autres points cruciaux nous semblent devoir être mis à l’agenda politique. Le premier est celui de la définition de la croissance. Que signifie la création de valeurs
dans un monde sobre ? Les approches élargissant le concept de croissance au-delà de la production des biens et services existent déjà. Mais les outils de mesure restent peu mis en avant et peu considérés. Les « objectifs de développement durable » élaborés dans le cadre de l’agenda 2030 des Nations Unies sont une base. Bonheur, bien-être, qualité de vie et préservation du vivant : voilà les nouveaux indicateurs qui doivent guider la définition de l’activité humaine.

Les informations aux consommateur·trices doivent aussi être étendues, pour permettre des choix éclairés. Un label, comme le « score carbone » doit être étendu. Au niveau micro-économique, les critères de RSE (Responsabilité Sociale et Environnementale) doivent devenir aussi contraignants et uniformisés que les normes comptables, de manière à débusquer le greenwashing et à faire valoir les comportements véritablement vertueux. Il faut aller encore plus loin, et exiger l’éco-conditionnalité des aides publiques. L’argent public irrigue largement les entreprises. Nous sommes en droit de leur demander des comptes ! Comme nous sommes en droit de demander des comptes aux
banques. Une grande partie de leurs bénéfices sont liés à l’exploitation des ressources fossiles. Cela doit cesser. Le système financier doit s’orienter vers la vie et le
vivant et ne plus alimenter les marchés de mort.

Switch des mentalités

En attendant des décisions politiques, nous, citoyen·nes, mais aussi responsables d’associations et d’entreprises, avons une autre carte à jouer : celle de l’imagination
de nouveaux récits. Participons au « switch » des mentalités. Créons des changements de croyance qui conduisent à des changements de comportements. Rendons aussi désirable un week-end sur une île de la Seine, à rejoindre en kayak, qu’un city-trip à Barcelone. Les histoires contées autour de ces voyages bas carbone doivent tenir la comparaison avec l’exploration du vaste monde. Ces récits doivent contaminer le plus grand monde, et particulièrement celles et ceux qui inspirent et que suit la jeune génération : les influenceur·euses. Leur responsabilité, dans le sillage des marques qui les emploient, sur l’hyper-consommation, est réelle. Inversons la vapeur. Devenons, toutes et tous, influenceurs et influenceuses de la sobriété.

De l'argent vert

L’enjeu financier de la lutte contre le changement climatique est majeur. Les banques financent des entreprises consommatrices de carbone, alors que cet argent (notre épargne !) pourrait être réorienté vers des projets vertueux. Oxfam le rappelait en octobre 2020 : « En un an, les émissions de gaz à effet de serre issues des activités des six principales banques — BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale, BPCE, La Banque Postale et Crédit Mutuel — ont atteint plus de 3,3 milliards de tonnes
équivalent CO2, soit 7,9 fois les émissions de la France. » Pour savoir comment notre argent est utilisé, Eva Sadoun a développé une application, Rift. Elle scanne nos comptes et en tire le bilan carbone, en fonction des montants en jeu et des établissements financiers concernés. Un point rouge prévient si l’argent finance des domaines sensibles, comme l’armement ou les énergies fossiles.

Les membres du Club qui ont participé à cette tribune :

Laurent Alaus, Mouna Aoun, Solenne Bocquillon-Le Goaziou, Camille Loiseau, Arthur Massonneau, Catherine Marcadier-Saflix, Yann Mauchamp, Louise Rifaux, Laura Strelezki, Delphine Thouviot, Sabine Vu. Avec le soutien de l’agence Fabernovel.