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C’est un sujet qui revient régulièrement dans l’actualité. Ce lundi 14 décembre, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques vient de rendre un rapport sur la pollution plastique, dans un contexte de pandémie mondiale où les comportements et discours semblent se relâcher, avec la promotion du plastique à usage unique. Une nouvelle alerte qui intervient néanmoins après plusieurs signes forts en France : la signature en février 2019 d’un Pacte national sur les emballages plastiques, et la fixation d’un objectif pour 2025 de recyclage de 100 % des plastiques.

80 kg de plastique par an pour un Européen

Mais de quoi parle-t-on exactement ? Côté production, le tableau a de quoi donner le vertige. En 2018, 359 millions de tonnes de plastique ont été produites (contre 2 millions de tonnes en 1950), dont 61,8 millions de tonnes pour l’Union européenne, ce qui représente 17 % de la production mondiale. En somme, un Européen consomme en moyenne entre 60 et 80 kg de plastique par an, contre 4 kg pour un Indien ou un Africain.

Première destination de cette production plastique, les emballages (39,9 %), devant la construction (19,8 %) et l’automobile (10 %). En conséquence, le poids économique de la filière plastique est énorme : elle représente 2,4 % du PIB européen, la France étant le 3e marché européen après l’Allemagne et l’Italie.

Une pollution gigantesque

Quand on regarde la fin du cycle de vie des plastiques, l’urgence à se saisir de la question se fait plus nette. Sur les 8,3 milliards de tonnes métriques produites dans le monde entre 1950 et 2015, 6,3 milliards se sont transformés en déchets plastiques, et seuls 9 % de ces déchets ont été recyclés ! L’immense majorité des déchets, soit 79 %, est en train de s’amonceler sur les sites d’enfouissement ou se répand dans la nature sous forme de détritus.

Cette pollution se retrouve principalement dans les océans, qui sont le premier réceptacle des déchets plastiques, mais aussi dans les sols et dans l’air. Outre les effets dramatiques causés par l’absorption de plastique par la faune marine, sur leur développement et en conséquence sur la biodiversité, la pollution plastique cause des dommages moins visibles, et parfois encore peu connus.

Enjeu de santé publique

La dégradation des plastiques dans la nature (par processus chimique, abrasion mécanique, ou photodégradation due au rayonnement solaire) provoque l’éparpillement de micro, voire nanoparticules dans les diverses composantes de l’environnement. En se dégradant, les plastiques libèrent des gaz à effets de serre et larguent dans la nature les additifs qu’ils contiennent.

L’absorption des micro- ou nanoplastiques par les animaux a des effets délétères sur leur santé, notamment reproductive. L’être humain n’est évidemment pas à l’abri de ces risques pour la santé, même s’il manque des recherches à l’échelle de la population générale, notamment sur les risques liés à l’alimentation. L’eau, en particulier embouteillée, serait un des produits de consommation courante les plus pollués par ces plastiques invisibles.

Raisonner l’usage et améliorer le recyclage

Difficile cependant de régler la question en imaginant supprimer tous les plastiques. Il faudrait plutôt raisonner leur usage, car leurs avantages ne sont plus à prouver, spécialement dans le domaine de la santé et pour la conservation alimentaire. La trace carbone de la fabrication de certains plastiques est parfois moins importante que celle de la fabrication d’objets à partir de matières plus nobles, comme le bois. Un détail à prendre en compte.

Même s’il ne sert modestement qu’à retarder la pollution, le recyclage peut jouer un grand rôle dans cette rationalisation des usages, à condition d’être optimisé. Au niveau européen, 56 % du plastique est collecté (50 % en France) et seulement 18 % sont recyclés (14 % en France). Sur les 29 millions de tonnes collectées : 32 % entrent dans un circuit de recyclage, 42 % sont incinérés et 24 % sont mis en décharge. En France, 44 % de la matière plastique collectée par le recyclage est exportée.

Le système actuel comprend en effet des limites : il est impossible de recycler sans les machines adéquates pour collecter et traiter chaque type de plastique, une exigence très changeante en fonction de l’évolution des matières et des réglementations. Il n’existe pas de filière de recyclage pour certaines matières plastiques. En outre, même si on sait recycler une bouteille plastique, seule une sur deux est recyclée, et moins d’une sur dix redeviendra bouteille. Pour améliorer ce dernier chiffre, il faudrait trier les bouteilles en fonction de ce qu’elles ont contenu…

Producteurs et consommateurs déresponsabilisés

En France, le principe de la Responsabilité élargie du producteur (REP) impose une contribution fiscale à tous les producteurs, importateurs et distributeurs de plastique, qui permet de contribuer à la prévention et à la gestion des déchets. Ces contributions financent partiellement les éco-organismes. Ces éco-organismes  sont chargés par les pouvoirs publics de la prévention, de la collecte et du traitement des déchets et  de la communication. Mais aussi ils ont mission d’inciter les producteurs à l’écoconception, de valoriser des déchets et de financer des programmes de recherche et développement pour améliorer l’efficacité de la filière.

Selon la Cour des Comptes, la performance de ces organismes est encore mal évaluée. En outre, le système français tend à déresponsabiliser non seulement les producteurs, qui ne financent qu’une partie du traitement des déchets, mais aussi les citoyens, qui ne paient pas en fonction du volume de déchets qu’ils produisent.

Autre limite importante du système français : le marché des matières recyclées en France est inférieur à 10 % de ses déchets recyclés. Depuis juillet 2017, la Chine, grand producteur de produits en plastique, a interdit l’importation de déchets. Quel intérêt à recycler des déchets si on n’a désormais aucun débouché pour ces nouvelles matières ?

Mobiliser à tous les niveaux

Si une solution unique n’existe pas, des pistes d’amélioration existent à plusieurs niveaux. Sur le plan politique, plusieurs actions pourraient être envisagées : appuyer la recherche sur les pollutions au plastique et sur les alternatives (aujourd’hui les bioplastiques, biosourcés et/ou biodégradables représentent un peu moins de 1 % des plastiques produits !) ; créer un groupe intergouvernemental sur le modèle du GIEC pour le climat ; intégrer cette question dans les programmes scolaires ; clarifier l’affichage sur les produits plastiques pour éclairer le consommateur, que ce soit pour distinguer les types de plastique ou informer sur l’impact environnemental de la production.

Du côté des industriels, un meilleur accompagnement serait nécessaire pour changer les usages et développer les solutions de chimie verte. Il faudrait aussi s’assurer d’une meilleure diffusion de la recherche auprès des entreprises, afin de raccourcir le délai entre innovation et application industrielle. La responsabilité sociale des entreprises (RSE) devrait également s’emparer du sujet du plastique, en définissant par exemple une empreinte plastique, et en mesurant les fuites plastiques à chaque étape du cycle de vie pour réduire la pollution.

Côté citoyens enfin, plusieurs actions sont à envisager. Au vu des conséquences de la pandémie de Covid-19 sur les comportements, la relance de campagnes d’incitation au tri et d’information sur la pollution plastique est une urgence. La consommation responsable du plastique pourrait par ailleurs être encouragée via des applications, comme il en existe pour l’alimentation. Autre axe de progrès, le tri dans l’espace public, en s’appuyant par exemple sur la mise en place de poubelles plus grandes ou de mécanismes incitatifs. Enfin, une consultation citoyenne sur le plastique, sur le modèle de la convention citoyenne sur le climat, pourrait permettre une plus large implication de la société civile.

 

Article réalisé avec l’appui du rapport « La pollution par le plastique », de la promotion Wangari Maathai — cycle national 2019 – 2020 de l’IHEST.